Archives du Grand-Saint-Bernard

 

Histoire des archives du Gd-St-Bernard

 

Pour l'histoire des archives, nous reprenons l'article de l'ancien archiviste du canton du Valais, M André Donnet, Notes sur les archives de l'hospice du Grand-St-Bernard, in Coll., Mélanges offerts à M. Paul-E. Martin, Genève 1961, p. 213-221, sans les notes de bas de page, renvoyant le lecteur à l'article lui-même pour une étude plus approfondie.

NOTE SUR LES ARCHIVES DE L'HOSPICE
DU GRAND ST-BERNARD

par

André DONNET

Si, à l'hospice du Mont-Joux, fondé vers le milieu du XIe siècle par saint Bernard des Alpes, on conserve des documents originaux remontant au XIIe siècle, il faut attendre le XVe pour rencontrer, dans les Constitutions, des ordonnances concernant les archives.
Au cours de sa période de croissance, la congrégation n'a cessé d'évoluer. Il se forme peu à peu plusieurs centres administratifs plus ou moins autonomes:
l'hospice lui-même avec le chapitre claustral; à Aoste, le prieuré de St-Bénin, puis celui de St-Jacquême; en Valais, la rectorie de Sion; sur les bords du lac Léman, les prieurés de Meillerie et d'Etoy. Dans le sillage des comtes puis ducs de Savoie, protecteurs insignes de l'hospice et de ses bénéfices, le centre de la prévôté tend à se fixer au nord des Alpes, à Meillerie, à Roche, à Etoy, à Rive-sous-Thonon.

Les constitutions dressées au XVe siècle font bien apparaître les courants qui travaillent la congrégation.
Le projet du prévôt Jean d'Arces, en 1437, cherche à légitimer la situation de fait, qui est favorable au prévôt et aux maisons de Meillerie et d'Etoy. En revanche, les constitutions, élaborées l'année suivante (1438) par ordre du cardinal Jean Cervantes, montrent plutôt l'idéal auquel la congrégation doit tendre, qui sera réalisé dans un organisme bien hiérarchisé, centralisateur, mettant en pratique la communauté des biens et reconnaissant la primauté effective de l'hospice en sa qualité de maison mère, hospitale et membra ejus.
Les articles des constitutions relatifs aux archives reflètent quelque peu ces courants.
Ainsi, dans celles de 1437, il est ordonné aux bénéficiers de dresser, de tous les biens mobiliers et immobiliers, des revenus, censes, services et quêtes, un inventaire général dont le prévôt présentera une copie à chaque chapitre. S'il est prescrit d'établir à Meillerie ou à Etoy une sorte de bibliothèque centrale qui réunira des ouvrages de théologie, de droit canon et civil, de médecine, etc., il est toutefois ordonné de transporter au Mont-Joux les bulles et documents concernant ledit hospice et de les déposer dans l'arche du trésor. Quant aux documents relatifs à Meillerie, à Etoy, à Pisy, à Rive-sous-Thonon, ils seront concentrés à Meillerie; le prévôt se réserve le droit de les faire éventuellement transférer à l'hospice; en tout cas, il en sera établi un inventaire qui y sera déposé.
Les constitutions de 1438, au contraire, édictent des mesures infiniment plus centralisatrices. Tout d'abord, prévôt, prieurs, curés, administrateurs ou officiers de l'hospice et de ses membres sont tenus, dans le délai d'un an, de dresser, s'ils ne l'ont déjà fait, les registres, récognitions et inventaires dans lesquels seront soigneusement décrits les biens, droits, revenus, etc., de la congrégation; il en sera fait un grand livre en parchemin qui demeurera à perpétuité dans le monastère du Mont-Joux... En outre, toutes les bulles de l'hospice et de ses membres seront conservées à l'hospice lui-même, dans une arche propre et bien fermée, munie de clefs.

Dès la fin du XVe siècle la prévôté se trouve désaxée au point de vue politique: en 1476, l'hospice est annexé au Valais; au XVIe siècle, la maison de Savoie est momentanément refoulée au-delà des Alpes; le prévôt, qui réside désormais à Aoste, échappe à l'influence valaisanne et reste dévoué aux ducs de Savoie. Enfin, la commende et la Réforme portent un rude coup aux bénéfices du Mont-Joux dans le Pays de Vaud et à Genève.
Ce déséquilibre politique est encore aggravé par la querelle de l'observance. Si les constitutions de 1438 ne sont pas restées lettre morte, elles n'ont pas non plus été mises intégralement à exécution; même l'influence du concile de Trente ne réussit pas à provoquer une réaction durable. Il en résulte néanmoins la formation de deux clans, partisans et adversaires de l'observation stricte des constitutions. Les premiers, en particulier les claustraux, trouvent un appui auprès de l'évêque de Sion et, par celui-ci, auprès du nonce de Lucerne. Les adversaires, qui s'efforcent de faire prévaloir une adaptation des constitutions, sont soutenus par le prévôt et par la maison de Savoie.
La lutte des deux clans, exaspérée encore par des questions politiques, matérielles, personnelles, aboutit finalement au démembrement de la prévôté: la bulle de Benoît XIV, du 19 août 1752, sécularise tous les bénéfices (à l'exception des églises paroissiales) situés dans les Etats sardes et les réunit à l'ordre mauricien; les religieux qui s'y trouvent sont également sécularisés. En rendant aux chanoines de l'hospice du Grand St-Bernard la liberté d'élire leur supérieur général, le Saint-Siège leur donne satisfaction pour le fond, mais les prive de tous leurs revenus au-delà des Alpes.
Au cours de ces luttes, il est souvent question des archives de la maison. On déplore la perte de nombreux documents dans les incendies dont a été victime l'hospice, en particulier dans celui de 1555. Au siècle suivant, les prévôts valdôtains font transporter au prieuré de St-Jacquême, à Aoste, une bonne partie des documents conservés au monastère. C'est chose faite en 1621,où l'inventaire, établi cette année-là, mentionne, "en la chambre du trésor, 55 buffets en bois de sapin dans lesquels autrefois l'on tenait les droits de la maison", et "...dans trois qui se ferment, plusieurs écritures, meme les livres de récognitions de Meillerie... ". La situation est toujours semblable à la fin de la prévôté de Roland Viot (1611-1644). Les nonces de Lucerne, par deux fois, font restituer les archives à la maison mère; mais sous le prévôt Norat (1671-1693), par avis de la cour de Turin, elles sont, pour la 3me fois, derechef ramenées à Aoste, où elles se trouveront encore au moment de la Séparation.

C'est donc sans réel succès que Louis Boniface, coadjuteur (1700-1724), fait aménager, en 1716, au-dessus de la sacristie de l'église conventuelle, un local d'archives. C'est en vain aussi que le chapitre de 1718 renouvelle l'ordre, prescrit par les constitutions de 1438 (art. 43), de dresser le liber magnus dans un délai de trois ans, et de réunir dans les archives du monastère tous les documents concernant l'hospice et ses membres ~. Et même, à la mort du prévôt Persod (1724), quand il établit l'inventaire des titres de Mont-Joux conservés au prieuré de St-Jacquéme, Joachim de La Grange, commandant du duché d'Aoste, fait, au dire "de quelques religieux dignes de foi", brûler tous les documents qui ne sont pas favorables aux droits de Sa Majesté sarde.
Quoi qu'il en soit, l'inventaire des titres conservés à l'hospice, en 1750, fait apparaître, une fois de plus, que les documents relatifs aux possessions d'outre-monts sont demeurés à St-Jacquême. A la Séparation, ils sont transportés dans les archives de l'ordre mauricien, partie à Turin, partie à Aoste même, tandis que les documents restés à l'hospice sont provisoirement transférés, en 1749, à la rectorie de Martigny, "par crainte d'un coup de main des Savoisiens".
Cependant, dans la masse des titres emportés à Turin, il y en a de nombreux qui concernent l'administration générale de la congrégation et les biens qu'elle continue à posséder hors des Etats de Sa Majesté sarde.
C'est pourquoi les religieux hospitaliers ne tardent pas à intervenir pour réclamer ces documents. Ils ne parviendront pas à leurs fins sans difficultés. "En 1757, on envoie à la sourdine, écrit le chanoine J.-J. Darbellay, M. le cellérier à la cour de Turin pour avoir nos titres et n'obtient rien. On accorde enfin la requête en 1767...". En effet, à cette date, le contrôleur général des Finances invite les religieux à députer un chanoine "pour assister à la séparation des titres" qu'ils ont demandés "et pour les retirer de M. l'archiviste". "Mais, poursuit Darbellay, celui qui l'avait octroyée [la requête] fut soupçonné de trahison et l'octroi, pendu au croc jusqu'en 1785 oû l'on obtint, dît-on, tout ce qu'on demanda, à peu de chose près".
En réalité, c'est au chapitre du 26 août 1783 que les chanoines J.-J. Ballet, curé de Sembrancher, et L.-J. Murith, curé de Liddes, sont désignés pour se rendre à Turin. Leur mission accomplie, ils sont en mesure de remettre au prévôt Luder, le 28 janvier 1785, l'état des documents qu'ils ont pu récupérer, soit environ 500 titres. Toutefois, ceux qui sont relatifs aux anciens bénéfices de la maison en terre sarde restent à Turin et constituent une telle masse "que le seul regeste remplit 9 in-folio". Il semble que, dès lors, les archives de l'hospice ne subirent plus de bouleversements; les documents y sont par la suite rassemblés normalement.

Les archives sont actuellement conservées au deuxième étage de l'hospice, dans un local aménagé dans une annexe contiguë à l'église, au sud. Elles y ont été transférées en 1952 de l'ancien local au-dessus de la sacristie, où Boniface les avait installées au XVIIIe siècle.
Des rayonnages recouvrent les parois latérales éclairées par la fenêtre ouverte vis-à-vis de la porte; une table et une chaise, qui occupent le centre de la pièce, sont toutefois les seules commodités offertes au chercheur.
En effet, c'est un ordre fort sommaire qui a présidé à la distribution générale des dossiers (parchemins, papiers, registres, etc.): ceux-ci sont disposés sur les rayons, verticalement et horizontalement, en fonction de leur format ou de leur masse. Une étiquette renseigne sur le contenu de chaque rayon, mais cette étiquette ne porte pas de cote. De plus, Si les pièces, dans les dossiers, sont ordinairement rangées par ordre chronologique, elles ne sont pas non plus munies de cotes ni de numéros. Enfin, à ces inconvénients majeurs - il est impossible, dans l'état actuel du dépôt, de donner la référence exacte au document que l'on utilise, car tel dossier peut être déplacé arbitrairement avec son étiquette -, à ces inconvénients, il faut en ajouter encore un autre: on ne trouve pas, correspondant, sinon à la succession des dossiers, du moins aux dossiers eux-mêmes, un inventaire valable.
Et, pourtant, les inventaires dressés depuis la seconde moitié du XIXe siècle ne manquent pas; on en compte même plusieurs. Toutefois, aucun d'entre eux n'a été conduit -à son terme: plutôt que d'achever, en la perfectionnant, l'entreprise de son ou de ses prédécesseurs, chaque auteur a préféré recommencer le travail à sa manière, mais sans jamais, hélas parvenir à aboutir.
Quoi qu'il en soit, le chercheur qui a la chance de pouvoir bénéficier des directives du prieur claustral - auquel est en général commise la surveillance des archives - et singulièrement de la conduite de M. le chanoine L. Quaglia, qui a longtemps pratiqué les fonds de la maison nouvellement disposés par M. le chanoine Alfred Pellouchoud, ce chercheur sera en mesure de se tirer d'affaire. Il accédera facilement aux grandes séries: les classeurs de l'histoire générale, les registres de reconnaissances, les fonds de divers bénéfices, etc., non sans être gêné, pour s'y retrouver et pour citer ses sources, par l'absence de cotes et de numéros.
Il n'est pas inutile, autant pour illustrer notre propos que pour orienter les intéressés éventuels, de reproduire ci-après la succession des rubriques (état au 1.9.1959) selon l'ordre vertical: d'abord les rayonnages à main droite de l'entrée (dont la partie inférieure, plus profonde, est en saillie): ensuite les rayonnages à main gauche.


A. A main droite de l'entrée.
a) Partie supérieure
1re rangée: Comptes du procureur. - Comptes de la procure. - Administration générale. - Registres et comptes du prévôt et des autres officiers.
2me rangée: Mémoires de Boniface. - Visites; inventaires.
3me rangée: Procès concernant les religieux. - Missions. - Eglises et autels. - Messes.
4me rangée: Confrères; listes; nécrologes. - Dossiers personnels. - Prévôts. - Histoire générale 1.
5me rangée: Séparation 1 et 2. - Chapitres. - Histoire générale 2.
6me rangée: Quêtes 1 et 2. - Constitutions. - S. Bernard: vie et culte; miracles. - Histoire générale 3.

b) Partie inférieure
1re rangée: Inventaires et catalogues des archives.
5me rangée: Plans de bâtiments et de propriétés. Diplômes divers.
6me rangée: [Registres des voyageurs].


B. A main gauche de l'entrée
.
Au-dessus des rayons dans le sens horizontal: collection des registres de reconnaissances. Puis, dans le sens vertical:
1re rangée: Bourg-St-Pierre paroisse. - Liddes. - Orsières paroisse. - Sembrancher. - Martigny prieuré. - Lens. - Vouvry. - Bénéfices; Bovernier; Trient.
2me rangée: Bourg-St-Pierre maison. - Bourg-St-Pierre, affaires Drônaz. Orsières maison; Orsières-Ferret. - Martigny maison. - Maison Econnaz. - Aoste; St-Oyen. - Simplon. - Lombardie; Piémont.
3me rangée: Roche 1 et 2. - Bâle; Vaud; Fribourg. - Rectorie de Sion. - Valais: autres biens. - France: bénéfices; pensions; Angleterre. - Passages d'armée; questions militaires. - Chiens; météorologie.
4me rangée: Copies et analyses de documents bernardina. - Travaux historiques bernardina. - Manuscrits Jérôme Darbellay; chroniques et diaires de confrères. - Numismatique; archéologie; travaux originaux de confrères. - Union avec St-Maurice; avec Verrès. - Limites territoriales, routes; questions officielles P.T.T., douanes, route. - Travaux personnels Farquet. - Martigny, documents Farquet.
5me rangée: Sermons [1 et 2]. - Spiritualia. - Historica non bernardina. - Evénements politiques; actes épiscopaux sedunensia. - Travaux du chanoine Jules Gross. - Travaux scientifiques. - Cours manuscrits de théologie, de philosophie, etc.
6me rangée: Vieux parchemins de peu d'intérêt; Giétroz. - Liddes: actes des notaires F. Challand et Barth. Massard. - Extranea in Vallesia. - Extranea extra Vallesiam. - Extranea in valle Augustana. - Correspondances variées. - Correspondances Farquet et Cerrutti. - Correspondances Favre et Besse.


Pour achever ce bref aperçu, nous nous permettons d'émettre un voeu: que, pour la bonne garde du dépôt et pour la tranquillité des autorités responsables, un religieux expérimenté entreprenne sans tarder de remédier à cette situation. En utilisant systématiquement et judicieusement les tentatives de ses nombreux prédécesseurs, il pourra enfin mener à terme l'inventaire digne d'un fonds aussi riche que celui de l'hospice du Grand St-Bernard.

André Donnet

 

 

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