INTRODUCTION

 


II

Invasions des barbares, royaume des Burgondes.

L'Helvétie paraît avoir été exposée aux invasions des barbares dès la fin du IIIe siècle. Frédégaire raconte que, sous l'empereur Gallien, la ville d'Aventicum fut ravagée par les Allemani. Il est vrai qu'il règne encore quelque incertitude sur le sens des mots qui accompagnent le nom d'Aventicum dans le texte de l'auteur précité. Mais il n'y a aucun motif pour révoquer en doute le fait principal, qui concorde parfaitement avec toutes les données de l'histoire de cette époque. Ce fait est d'ailleurs pleinement confirmé par le langage d'Ammien Marcellin, qui dit que, au milieu du siècle suivant, la ville d'Aventicum était encore à moitié ruinée.

Quelques auteurs ont cru reconnaître, dans une des variantes de Frédégaire, le nom d'un chef barbare appelé Wibilus ou Wifilus, qui aurait donné à la ville d'Avenches le nom de Wiflisbourg, sous lequel elle est connue des Allemands (Indicateur d'histoire et d'antiquités, mars 1860.). C'est ce même personnage dont l'historien Guilliman parle comme ayant reconstruit la ville d'Avenches en l'an 608, mais sans indiquer la source où il avait puisé ses informations (De rebus Helveticis, lib. 1, cap. 3, Aventicum). Il en est aussi parlé dans les anciennes Sagas des peuples du Nord, car on lit dans celle de Ragnar Lodbrok, que ses fils avaient porté leurs armes dans les royaumes du Sud (in Sudurrike), et qu'enfin ils avaient assiégé et détruit la ville de Viflisbourg, qui tire son nom du prince Vifill (Var sa hofdinge kalladur Vifill. Af hans nafne var borginn kollud Vifilsborg. Saga af Ragnari Lodbrok oc Synum hanns. c. 13. ap. Björner, Nord. Kämpadater. Holm, 1737. — De colonia Suecorum in Helvetiam deducta dissertatio, auctore Axelio Emil. Wirsen, comite Smolando. Upsalliae, 1828.). Cette coïncidence avec les légendes Scandinaves est digne en tout point de remarque, mais le fond de la question n'en reste pas moins sujet à de sérieuses difficultés ; car, d'une part, on est fort embarrassé pour concilier les époques dans cette hypothèse, et, d'autre part, le nom de Wibilus ne se trouve indiqué que dans une seule des nombreuses variantes de Frédégaire, tandis que toutes les autres présentent un sens absolument différent.

Vers la fin du IVe siècle, sous le règne de Valentinien 1er, on voit apparaître de nouveaux barbares, les Burgondes (Cette invasion est racontée par Frédégaire, Cassiodore, Hieronymus et Orose). Frédégaire, qui donne les détails les plus circonstanciés sur leur invasion, raconte que ces peuples descendirent au nombre de 80 mille, et s'établirent avec leurs femmes et leurs enfants dans la province lyonnaise, la Gaule chevelue et la Gaule cisalpine, il ajoute qu'ils avaient été appelés par les habitants de ces provinces, mus probablement par le désir de se soustraire aux vexations et aux impôts excessifs dont ils étaient accablés par le fisc impérial (Ut tributarii publice potuissent renuere. Frédégaire.). Cette invasion s'étendit-elle aussi à la Suisse occidentale? C'est ce que le chroniqueur ne dit pas expressément, mais comme il avait placé précédemment la ville d'Aventicum dans la Gaule cisalpine, on peut sans présomption se prononcer pour l'affirmative (Les Romains donnaient le nom de Gaule cisalpine à la portion septentrionale de l'Italie. Mais il est évident que, dans le langage de Frédégaire, cette appellation s'applique à l'Helvétie occidentale et à la Bourgogne.). Il est permis d'ailleurs de s'en rapporter au témoignage de l'auteur inconnu de la chronique qui porte le nom de Frédégaire, car les nombreux détails qu'il donne sur la Bourgogne et sur Avenches en particulier, démontrent qu'il connaissait très bien cette contrée. Cette circonstance a même fait supposer que sa chronique avait été composée à Avenches ou dans les environs. Il serait à souhaiter qu'on pût enfin posséder une édition correcte de cet important ouvrage, qui fourmille de fautes et de difficultés.

On pense communément que cette première invasion ne fut pas définitive, et cette opinion s'appuie sur un passage d'Ammien Marcellin, qui dit que les Burgondes se retirèrent, lorsqu'ils virent qu'on ne tenait pas les promesses qui leur avaient été faites (Amm. Marcell. lib. XXVIII, cap. 5). Ils revinrent plus tard à la suite des invasions d'Alaric et de Radagaise, et furent en guerre contre les Romains, pendant une partie du commencement du Ve siècle. Enfin, après plusieurs alternatives de défaites et de victoires, ils finirent par s'établir irrévocablement dans la Bourgogne, la Suisse occidentale, la Savoie et le Dauphiné. Ils s'y mélangèrent avec les anciens habitants du sol, et l'on peut remarquer dans le caractère et la destinée de ces diverses provinces, bien des traits qui dénotent l'existence d'une véritable communauté de race et d'origine. La Savoie, en particulier, resta intimement unie à la Suisse occidentale, et ne s'en sépara qu'à la suite de la réformation du XVIe siècle.

D'après Marius, évêque d'Avenches, le partage des terres eut lieu en 456. Mais ce chroniqueur se borne à dire que les Burgondes partagèrent avec les sénateurs gaulois. C'est dans la loi des Burgondes que nous trouvons indiquées les principales conditions du partage. Quelques-uns d'entre eux reçurent de la munificence royale des terres qui provenaient du domaine public (Ut quicunque agrum cum mancipiis, seu parentum nostrum, sive largitate nostra perceperat. Lex Burgund. tit. 54, 51.), et qui étaient probablement fort nombreuses; car, dans ces temps de désastres, les terres incultes ou abandonnées étaient en grand nombre, et leur propriété revenait naturellement au fisc. Les autres reçurent de leurs hôtes, soit de ceux qui étaient appelés à leur fournir le logement militaire, les deux tiers des terres et le tiers des esclaves (Licet eodem tempore, quo populus noster mancipiorum tertiam et duas terrarum partes accepit. Ibidem, tit. 61, 51. — Consultez aussi à ce sujet les titres 13, 31, 54, 78 et 84 de la même loi, ainsi que le § 11 de la seconde addition.). Cette portion fut modifiée plus tard et réduite à la moitié des terres. Ce partage s'étendit-il indistinctement à toutes les propriétés, ou seulement à celle des sénateurs et des personnes qui pouvaient être considérées comme adversaires des conquérants? Nous ne le savons pas exactement. Mais il est naturel de supposer qu'un pareil acte de spoliation atteignit surtout les grands propriétaires. C'est du moins ce que donne à penser le texte de Marius, qui ne parle que des sénateurs. Quant aux curiales et aux simples colons, victimes de l'administration romaine, il est permis de supposer qu'ils furent moins complètement ou moins directement atteints par la conquête. C'est ainsi du reste que les choses se passent ordinairement dans les grandes révolutions qui modifient les affaires de ce monde.
Les Burgondes étaient venus originairement du nord de la Germanie. Pline les range au nombre des peuples vandales (Pline, Hist. nat. lib. IV, c. 14.), et c'est d'après cette indication un peu vague, que plusieurs écrivains les ont placés dans la contrée qui s'étend entre l'Oder et la Vistule. L'auteur de la vie de St. Sigismond les fait venir d'une île située dans les mers du Nord, à laquelle il donne le nom de Scandanie (Apud Bollandianos, prima maii.), et dans laquelle on peut reconnaître quelqu'une des terres Scandinaves. Ces peuples descendirent vers le Rhin, à l'époque ou Tibère et Drusus venaient de soumettre les Germains, et furent commis à la garde d'un certain nombre de châteaux ou places fortes, qui portaient le nom de Burg dans les idiomes tudesques. C'est de là qu'est venu leur nom de Burgondes. Ils sont représentés comme très braves, mais moins barbares que les autres Germains, doués d'une certaine bonhomie, industrieux et fort adonnés à la fabrication des ouvrages en bois (Socrates, Hist. eccles. lib. VII, c. 30.), habitude caractéristique qui a subsisté jusqu'à nos jours chez les descendants de ces peuples. Ils se convertirent de bonne heure au christianisme, et s'attachèrent d'abord à la secte arienne, mais ils ne tardèrent pas à rentrer dans le giron de l'Eglise catholique. Ils vécurent, dit Orose, avec les Gaulois qu'ils avaient soumis, non point comme avec des sujets, mais comme avec des frères chrétiens (Orose, Hist. lib. VII. c. 31.).

Les chefs ou rois burgondes qui se succédèrent sur le trône, furent Gondicaire ou Gunther, Gondioch, Gondebaud, Sigismond et Gondomar. La succession de ces princes présente néanmoins certaines difficultés, comme nous le verrons bientôt.

Le premier est désigné dans les chroniques latines sous les noms de Gondicarius, Gontiarius, Gondahar, et l'on croit que c'est le même personnage qui figure dans les Nibelungen sous le nom germanique de Gunther. Sa généalogie n'est connue que fort imparfaitement par le titre III de la loi des Burgondes, dans lequel Gondebaud nomme comme ses prédécesseurs Gibica, Gudomar, Gislahar et Gondahar, mais sans indiquer les relations de parenté qui ont existé entre eux. Il était naturel de chercher à combler cette lacune au moyen des renseignements fournis par les Nibelungen, l'Edda et d'autres poèmes du même genre, et quels que soient les scrupules légitimes qui s'élèvent contre la valeur historique de ces sources légendaires, ces renseignements présentent assez d'intérêt pour que nous soyons autorisé à les mentionner. Le premier des princes désignés dans la loi de Gondebaud paraît dans les poëmes sous les noms de Giuki, Gibick ou Gibecke, et il est indiqué comme père des trois derniers qui sont connus sous les noms de Gernot, Giselher et Gunther. On voit dans les Nibelungen, que ces trois frères ont régné à Worms. On y trouve aussi le récit merveilleux de leur expédition à la cour d'Attila, où ils avaient été attirés par la reine Chrimhilde, et où, après avoir donné des preuves d'une bravoure extraordinaire, ils furent massacrés tous les trois à la suite d'un grand banquet. Mais toute cette narration appartient au domaine de la fable, et nous nous hâtons de rentrer dans le champ moins incertain de l'histoire.

Gondicaire ou Gunther paraît pour la première fois au début de la grande invasion des premières années du Ve siècle, et spécialement en 412 où il est indiqué sous le titre de préfet des Burgondes. Il combattit pendant plusieurs années contre les Romains, et finit par être battu en 435 par le général Aëtius. Puis il prit parti pour les mêmes Romains, et fut tué par les Huns, en essayant de résister aux hordes d'Attila. L'année de sa mort n'est pas fixée, et d'après le langage de Prosper d'Aquitaine, elle semblerait avoir eu lieu peu de temps après la victoire d'Aètius. Mais, d'après le récit plus circonstancié de Paul Diacre, il semble plus probable qu'elle eut lieu en 451, dans la campagne qui se termina par la mémorable bataille de Châlons (Améd. Thierry, Hist. d'Attila, tom. I, page 144.). On sait en effet, par le texte de Jornandès, que les Burgondes prirent une part active à la guerre contre les Huns, et l'on voit dans la loi de Gondebaud (Tit. XVIII, § 1.), que la bataille de Châlons exerça une influence marquée sur leur condition civile, puisque cette loi supprima tous les procès existant avant la bataille, usque ad pugnam Mauriacensem.

Après Gunther, nous trouvons le roi connu sous les noms de Gondiochus ou Gondieuchus. Ce prince prit part en 456, avec son fils Chilpéric, à l'expédition dirigée, en Espagne, contre Riciaire, roi des Suèves (Jornandès, Hist. Get. C. 44. — Idatius. — Isidore.). Il vivait encore en 463, puisqu'en cette année, le pape Hilaire lui donne, dans une lettre adressée à l'évêque d'Arles, les qualifications de son cher fils et de maître de la milice (Quantum enim filii nostri, viri illustris, magistri militum Gonduici.... Concil. tom IX, page 473.).

La ressemblance qui existe entre les noms de Gondicaire et de Gondioch, et l'incertitude qui règne sur la date de la mort du premier, ont fait quelquefois supposer que ces divers noms se rapportaient à un seul et même prince. Mais cette opinion est tombée devant un examen plus approfondi des textes, qui ne permettent pas de supposer que Gondicaire ait survécu à la bataille de Châlons. Elle est, d'ailleurs, peu vraisemblable en elle-même, puisqu'elle supposerait un règne de plus de 50 ans s'il n'y avait eu qu'un seul et même prince, et elle est formellement contredite par le titre III de la loi des Burgondes, dans lequel Gondebaud, fils de Gondioch, distingue clairement ce dernier de Gondahar son prédécesseur (Gibicam, Godomarem, Gislaharium, Gondaharium et patrem meum. Lex Burgond. tit. III.). Quant à la similitude des noms, elle n'a rien de surprenant, si l'on considère que la plupart des rois de cette dynastie ont porté des noms commençant par la même syllabe, qui semble avoir été une sorte de désignation patronymique (D'après Grégoire de Tours et Frédégaire, Gondioch aurait été descendant du roi Athanaric : ex genere Athanarici regis persecutoris. Mais le degré de cette parenté n'est pas indiqué ; et s'il s'agit, comme on le pense, d'Athanaric, roi des Goths, mort en 382, elle n'exclut nullement l'idée que Gondioch fût de la famille des rois burgondes.).

Gondioch laissa quatre fils qui se partagèrent ses états. C'étaient Chilpéric, Gondebaud, Gondégesile et Gondomar.

Chilpéric obtint de l'empereur Anthémius la ville de Lyon, la province de Vienne et le Vivarais, à condition de les défendre contre les Visigoths qui occupaient l'Aquitaine. Il en obtint aussi la charge de maître des milices des Gaules.

Peu d'années après, en 472, Gondebaud fut nommé patrice par l'empereur Olybrius, et succéda ainsi à Ricimer dans le commandement des armées romaines. En 490, il fut sollicité de joindre ses armes à celles de Théodoric, roi des Ostrogoths, qui disputait à Odoacre la possession de l'Italie. Gondebaud préféra la cause de ce dernier, et passa les Alpes à la tête d'une armée burgonde. Mais ses exploits se bornèrent à exercer quelques pillages et à enlever un grand nombre d'esclaves, qu'il ramena dans ses états. Il laissa continuer la lutte entre les rois barbares, qui se disputaient les ruines de l'empire d'occident, et dirigea ses efforts dans l'intention d'enlever à ses frères leur héritage paternel. Ses projets ambitieux furent couronnés d'un plein succès, car il parvint à faire périr ses frères Chilpéric et Gondomar, ainsi que les deux fils du premier. La femme de Chilpéric fut précipitée dans le Rhône, et ses deux filles furent seules épargnées. L'une d'elles prit le voile ; l'autre était cette Clotilde qui devint plus tard l'épouse du roi Clovis.

Gondégesile avait obtenu en partage la ville de Genève et la contrée voisine, mais il contracta une alliance secrète avec Clovis, ennemi de Gondebaud, et trahit ce dernier dans la bataille livrée sur la rivière d'Ouche, près de Dijon. Gondebaud, abandonné par son frère, battit en retraite, et se réfugia à Avignon, où il fit la paix avec Clovis. Libre de ce côté, il dirigea sa vengeance contre Gondégesile, pénétra à Vienne, où celui-ci s'était réfugié, et le fit mettre à mort. Après s'être ainsi débarrassé violemment de ses trois frères, il resta seul possesseur des états de son père, et régna jusqu'en l'année 516.

L'institution la plus saillante du règne de Gondebaud fut l'établissement de la loi qui porte son nom et qui fut plus tard augmentée par son fils Sigismond. On y remarque que les peuples vaincus furent traités sur le pied d'égalité avec les vainqueurs, ce qui n'eut lieu que rarement dans les lois barbares. On y remarque aussi l'absence de la disposition qui excluait les filles de certaines parties de la succession, et qui est connue sous le nom de loi salique. La loi de Gondebaud était spéciale aux Burgondes, qui laissèrent aux anciens habitants du pays une législation particulière. On a cru pendant longtemps que cette dernière législation était perdue, mais on l'a retrouvée dans le recueil connu sous le titre de Papiani responsum. Savigny a clairement démontré que ces deux lois sont soeurs, et l'on peut en effet remarquer que, si leurs dispositions sont différentes, celles-ci se succèdent dans un ordre qui est à peu de chose près identiquement le même. C'est à la même époque que furent rédigées les principales lois romaines, les codes de Justinien, l'édit de Théodoric et le bréviaire d'Alaric. Le mélange des peuples, introduit par les invasions, avait amené l'usage des droits personnels, de telle sorte que chacun suivait la loi de la nation dont il tirait son origine. Le Romain suivait la loi romaine, le barbare suivait la loi barbare.

La loi des Burgondes fut promulguée à Lyon, en présence d'une nombreuse assemblée de comtes. Gondebaud faisait ordinairement sa résidence dans cette ville ou à Vienne, mais il est certain qu'il possédait aussi à Genève, un palais dont certaines parties ont subsisté jusqu'à nos jours. Nos contemporains se souviennent encore d'avoir vu, près de l'arcade du Bourg-de-Four, les derniers vestiges de l'habitation qui portait son nom, et l'on y a trouvé les fragments d'une inscription qui rappelle que Gondebaud avait contribué à l'agrandissement de la ville (Notice de M. E. Mallet, dans le 4e volume des Mémoires et Documents de la société d'histoire et d'archéologie de Genève, page 305 et suiv.). On croit que ce prince se trouvait à Genève, lorsque sa nièce Clotilde le quitta, pour aller épouser le roi Clovis et le convertir au christianisme. Ce fut aussi près de Genève qu'il convoqua, en 516, la grande assemblée en présence de laquelle il transmit la couronne à son fils Sigismond. Cette assemblée se tint dans un lieu appelé Quadruvium. Quelques auteurs ont cru y reconnaître le nom de Carouge, d'autres croient qu'il s'agit d'un lieu appelé Carre ou Carrât, situé à l'orient de Genève, non loin des ruines de l'antique château de Rouëlbeau.

Le commencement du règne de Sigismond se fit remarquer par les donations qu'il fit en faveur de la célèbre abbaye de St. Maurice d'Agaune. Ce monastère, établi en mémoire du martyre de la légion thébéenne, remonte à une très haute antiquité. On croit qu'il dut ses premiers commencements à St. Théodore, évêque du Valais, qui vécut dans la seconde moitié du IVe siècle et qui y fit construire une église. Quant au monastère lui-même, il est certain qu'il existait avant Sigismond, et l'on en trouve la preuve dans divers faits des années 507 et 542, entre autres dans le voyage de l'abbé Séverin auprès du roi Clovis (Gremaud, Origines de l'abbaye de St.-Maurice d'Agaune; Mémorial de Fribourg, année 1855, tom. IV, pag. 321 et suiv.). Sigismond y convoqua, en 516, une assemblée d'évêques et de comtes, et l'enrichit de biens considérables.

L'abbaye de St. Maurice partage, avec le prieuré de Romainmôtier, l'honneur d'avoir été du nombre des premiers établissements chrétiens de nos contrées. En effet, Grégoire de Tours raconte que, vers le milieu du Ve siècle, les abbés Lupicinus et Romanus vinrent fonder un monastère dans le pays d'Allémanie (Infra Alemanniae terminos monasterium locaverunt. Gregor. Tur. De Lupicino atque Romano abbatibus, cap. 2 et 3.), et tout s'accorde pour démontrer, qu'il s'agit ici du couvent de Romainmôtier ou plutôt de l'ermitage de Saint-Loup, près de La Sarra. qui était voisin de Romainmôtier, et qui y fut probablement transféré plus tard (Fréd. de Charrière. Note sur les origines du couvent de Romainmôtier, Mémoires et documents de la Suisse romande, tom. III, pag. 810 et suiv.). Il n'est pas hors de propos de faire remarquer ici le rapport frappant qui existe entre les noms de St. Loup et de Romainmôtier, d'une part, et ceux de Lupicinus et de Romanus, qui passent pour en avoir été les fondateurs.

L'éducation était cultivée avec soin dans ces monastères : on en a la preuve pour St. Maurice, qui posséda dès son origine une école ouverte à la jeunesse. Cette école attirait des élèves d'assez loin, et l'on sait que vers la fin du VIe siècle, Héliodore, qui faisait sa résidence à Grenoble, envoya son fils Amat à St. Maurice pour y faire ses études (Histoire littéraire de la France, par les Bénédictins, tom. III, pag. 442.). Ce jeune homme, qui se distingua par son savoir et par son éloquence, devint plus tard abbé de Remiremont.

En 517, Sigismond convoqua à Epaone un concile composé de tous les évéques de son royaume, au nombre de vingt-cinq. Les historiens diffèrent sur le lieu où se réunit cette assemblée, et quelques-uns d'entre eux ont supposé qu'il avait été convoqué dans un petit village, situé près de St. Maurice en Valais. Mais cette supposition n'est pas fondée sur des bases suffisamment solides, et l'on admet plus généralement qu'il eut lieu à Albon, dans le diocèse de Vienne en Dauphiné (Quelques auteurs estiment que le concile d'Ëpaone fut rassemblé à Yenne, en Savoie.).

En 522, Sigismond, trompé par les calomnies de sa seconde femme, fit étrangler son propre fils Sigéric, qu'il avait eu de sa première femme Ostrogothe, fille de Théodoric, roi d'Italie. Puis tourmenté par les remords, il se retira dans le monastère de St. Maurice pour y faire pénitence. Mais ses sujets se révoltèrent contre lui, et les rois francs profitèrent de l'occasion pour venger la mort de Chilpéric, leur aïeul, en s'emparant de la Bourgogne. Sigismond leur fut livré par les siens, et périt misérablement dans un puits, où il fut jeté avec sa femme et ses enfants.

L'infortuné Gondemar, son frère, lui succéda en 524, et continua sans succès la lutte engagée contre les rois mérovingiens. Il fut vaincu, disparut sans laisser de traces en 534, et son royaume tomba tout entier entre les mains des successeurs de Clovis (Une inscription fort curieuse, qui prouve que le gouvernement de Gondomar s'étendait sur la Savoie, a été trouvée dernièrement à Evian. Il y est dit qu'en l'année 527, sous le consulat de Mavurtius, les Brandobriges reçurent leur rédemption du roi Gondomar : Redimptionem a domino Gudomaro rege acceperunt. La mention des Brandobriges, qui sont évidemment un peuple, ou une portion de peuple, a donné lieu à une discussion fort intéressante. — Indicateur d'hist. et d'antiquités. Zurich 1855, N° 4, 1856, Nos 1 et 4.). Avec lui finit la dynastie des rois bourguignons de la première race, et la Suisse occidentale vit sa nationalité absorbée dans le vaste empire des Francs. Elle en suivit les destinées, en se rattachant plus particulièrement à celles de la Bourgogne.

Les Burgondes n'étaient à l'origine ni moins braves, ni moins entreprenants que les Francs. Leurs combats contre les Romains et contre la redoutable nation des Huns en sont la preuve, ainsi que les glorieux souvenirs qu'ils ont laissés dans les épopées germaniques. Mais ils furent peut-être amollis plus tôt par leur initiation à la civilisation romaine. Il y avait aussi, dans la configuration de la contrée où ils s'établirent, quelque chose de moins propre à conserver leur nationalité. Cette contrée s'étendait à la fois sur la Suisse, la Bourgogne, la Savoie et le Dauphiné. Elle manquait de centre et d'unité, et se prêtait moins bien à l'établissement d'un peuple dominateur.