INTRODUCTION

 

XI

L'Eglise.

 

 

L'Eglise occupait une grande place dans nos contrées, et les papes intervenaient fréquemment dans nos affaires, soit pour confirmer l'élection des évêques, soit pour autoriser l'établissement des couvents, soit pour mettre fin aux difficultés qui s'élevaient entre les ecclésiastiques. Les nombreuses bulles émanées de la cour de Rome en sont la preuve incontestable.

Les évêques de Lausanne, chefs d'un diocèse très étendu, et possesseurs d'un temporel considérable, jouissaient d'une indépendance presque absolue, malgré l'avouerie qui avait été concédée aux Zaeringen. On se souvient que ces évêques avaient obtenu en 1011, du dernier roi rodolphien, l'investiture du comitat, soit de la souveraineté temporelle, et s'il est vrai que cet acte n'ait pas développé immédiatement tous ses effets, il n'est pas moins certain que les évêques de Lausanne ne tardèrent pas à devenir de puissants seigneurs.

Les évêques de Genève occupaient aussi un rang élevé, mais plus restreint par l'étendue moins grande de leur diocèse, et limité par la présence des comtes de Genève, avec lesquels ils eurent de fréquents débats au sujet de l'administration des affaires temporelles. Ces prélats ne paraissent pas avoir reçu de Rodolphe III l'investiture du comitat, et leurs relations avec les comtes de Genève ne furent réglées que par le traité de Seyssel de l'an 1124. C'est du moins le premier acte écrit qui nous soit parvenu sur ce sujet. Mais il n'est pas impossible qu'ils aient reçu, des rois ou des empereurs, quelques privilèges qui ne nous ont point été conservés.

Les évêques du Valais, vivant dans un pays de montagnes, au milieu d'une noblesse belliqueuse, n'y trouvaient cependant pas de rival capable de les dominer, et ils jouissaient d'une indépendance plus complète. Ils avaient obtenu en 999, du roi Rodolphe III, l'investiture du comitat, et depuis lors ils ne relevèrent en réalité que de l'empire. Ce fut seulement au XIIIe siècle que Pierre de Savoie s'empara du Bas-Valais, jusqu'à la limite tracée par la Morge de Conthey ; il ne leur laissa que les possessions situées dans la portion supérieure de la grande vallée du Rhône.

Après les évêques, venaient la royale abbaye de St. Maurice, les prieurés de Romainmôtier, de Payerne, de St. Victor à Genève, les prévôtés de Neuchâtel et de Soleure, et enfin les innombrables communautés religieuses qui s'établirent pour la plupart au XIe et au XIIe siècle. Parmi ces monastères, nous citerons Ruggisberg (fondé en 1076), l'abbaye de St. Jean de Cerlier (1090 à 1106), le prieuré de l'île St. Pierre (1107), l'abbaye du Lac de Joux (1126), celles de Montheron (1115 à 1129), de Bonmont (1123), d'Interlaken (1133), de Hautcrêt (1134), d'Hauterive (1137), etc., etc.(Notice sur les couvents du diocèse de Lausanne, par le P. M. Schmitt ; Mémorial de Fribourg, années 1854 et 1855, tom. I et II. — Fr. de Mulinen, Helvetia sacra.) Ces fondations, créées pour la plupart par la générosité de pieux seigneurs, avaient besoin, pour être valables, d'être consacrées par l'autorité ecclésiastique. Elles devaient aussi être confirmées par l'autorité temporelle dans le territoire de laquelle elles étaient instituées. Aussi retrouvons-nous ordinairement leur établissement confirmé par l'évêque et par le pape, par le seigneur local et par l'empereur. Ces communautés introduisirent dans le pays les habitudes religieuses, l'amour de l'agriculture, le bien-être et la civilisation. C'étaient à la fois des églises, des écoles et des fermes-modèles. Les couvents contribuèrent puissamment au défrichement des terres incultes, et ne tardèrent pas à devenir propriétaires d'une grande partie du sol. On aurait tort de les juger d'après les abus qui s'introduisirent plus tard dans quelques-uns d'entre eux, car il n'est pas douteux qu'à leur origine ils n'aient répondu à un besoin véritable et n'aient puissamment contribué à sauver l'Europe des ténèbres de la barbarie et de l'ignorance.

Ce fut à la fin du Rectorat que Conon d'Estavayer devint prévôt du Chapitre de Lausanne, et sous l'impulsion de cet homme actif et capable, l'administration épiscopale parvint à un haut degré de puissance et de prospérité. Conon d'Estavayer fut l'auteur du Cartulaire de Lausanne, un des documents les plus précieux de cette époque. Ce recueil, qui a été publié dans le tome VI de nos Mémoires et Documents, contient le Pouillé du diocèse de Lausanne, une chronique des évêques, un grand nombre d'anciennes chartes transcrites in extenso, et un nombre encore plus considérable d'extraits ou d'analyses de chartes moins anciennes. Ces analyses, très bien faites, sont ordinairement accompagnées de la transcription textuelle des dates et de la désignation des témoins, comme on le ferait encore de nos jours si l'on voulait rédiger un répertoire analytique. Ce recueil ne saurait être étudié et médité avec trop de soin, car on est encore bien loin d'avoir épuisé tous les renseignements qu'il renferme.

Parmi les membres du clergé qui se distinguèrent à cette époque, nous citerons aussi l'évêque Jean de Cossonay, qui s'opposa de tout son pouvoir aux envahissements de Pierre de Savoie, et qui, tout en défendant les droits de son église, fut en même temps un des soutiens de la cause de l'indépendance nationale.