INTRODUCTION

 

XIX

Observations sur l'ordre chronologique des documents historiques.

 

 

Nous ajouterons à cette introduction quelques remarques sur la classification des pièces qui composent notre recueil.

Nous avons classé par ordre de dates celles dont on connaît exactement l'année, le mois et le jour. Nous avons placé à la fin de chaque année ou de chaque mois, celles dont on ne connaît que l'année ou le mois. Quant à celles dont l'année elle-même est douteuse, nous les avons placées à l'époque la plus probable, lorsque celle-ci est suffisamment déterminée. Dans le cas où les probabilités se répartissent sur un certain nombre d'années, nous les avons placées soit à la fin soit au commencement de l'époque indiquée, selon que cette position nous a paru préférable. Mais toute cette classification dans son ensemble est beaucoup plus difficile qu'elle ne le semble au premier abord, à cause des nombreuses incertitudes qui se rencontrent dans la chronologie elle-même. Nous allons essayer d'en indiquer quelques-unes.

La chronologie des chartes du second royaume de Bourgogne (de 888 à 1032) a été jusqu'ici une véritable pierre d'achoppement pour les historiens, et en effet tout y est matière à difficulté et à controverse. Nous ne possédons qu'un petit nombre d'actes originaux, et il est évident que les copies qui nous sont parvenues renferment un grand nombre d'erreurs, surtout dans les chiffres. D'autre part, ces chartes sont en général datées d'après les années du règne des souverains, mais il nous manque des données certaines sur l'époque précise du commencement de plusieurs règnes. Ainsi, nous savons que Rodolphe Ier a commencé à régner en 888, mais nous ignorons le jour et le mois de son couronnement. Il reste aussi quelque incertitude sur la date de la mort de ce roi, que les uns placent en 911 et les autres en 912. Nous savons que Rodolphe II mourut le 11 juillet 937, mais il paraît, d'après le contenu de plusieurs chartes et d'après une indication fournie par le cartulaire de Lausanne, que les années du règne de son successeur Conrad n'ont été comptées qu'à partir de 938. Tout cela répand beaucoup d'incertitudes dans les calculs chronologiques, et les cas douteux sont en assez grand nombre pour qu'il en résulte un embarras sérieux. Il n'est pas même bien établi que le mode de computation ait été le même dans les diverses parties du royaume, et quel qu'ait été le mode suivi, il paraît qu'il ne l'a point été avec une entière régularité.

Nous avons vainement cherché à trouver un fil directeur pour cette époque obscure. Nous n'avons rencontré aucun système qui fût à l'abri de toute critique et qui satisfît suffisamment à tous les cas. Nous nous sommes convaincu, bien au contraire, qu'il convenait de ne point adopter un système exclusif, mais qu'il valait mieux examiner successivement, et dans chaque cas particulier, quels étaient les éléments auxquels il fallait donner la préférence. Il ne nous aurait pas été possible de développer, à l'occasion de chaque charte, les calculs souvent fort compliqués qui nous ont déterminé à donner la préférence à telles ou telles notes chronologiques. Nous les avons indiqués sommairement dans quelques exemples particuliers, et nous nous en sommes rapporté dans les autres cas aux calculs que pourront faire les personnes qui se serviront de notre répertoire.

Une autre cause d'incertitude provient des divers modes usités pour le commencement des années de l'ère chrétienne. Or l'on sait que ce commencement n'était pas partout le même.

En France, l'année commençait assez généralement à Pâques. En Bourgogne, elle commençait ordinairement le 25 mars, soit le jour de la fête de l'annonciation. En Allemagne, dans la Suisse allemande et en Savoie, elle commençait à Noël. Ces trois modes ou styles sont connus sous les noms de style pascal, style de l'incarnation et style natal. Placée entre ces divers pays, à la limite des langues et des nationalités, la Suisse romane se trouvait aussi à la limite des styles, et elle a dû ressentir les effets de cette position intermédiaire.

Dans le diocèse de Lausanne, l'année commençait le jour de l'incarnation, soit le 25 mars, qui était en même temps le jour de la fête de l'annonciation de la sainte vierge, patronne de l'évêché. L'usage de ce style est fort ancien, et nous commençons à en trouver des traces dès le milieu du IXe siècle (Voir l'élection de l'évèque Hartmann, qui est marquée comme ayant eu lieu le dimanche 6 mars 851. La date paraît avoir été formulée suivant le vieux style, attendu que c'est en 852 que le 6 mars tombe le dimanche.). Il s'est conservé jusqu'à la réformation, et c'est probablement une des causes qui ont donné tant d'importance à la fête de Notre-Dame, qui est encore restée populaire chez les réformés du diocèse de Lausanne.

A Genève, l'année commençait à Pâques, et ce mode a duré jusqu'au commencement du XIVe siècle. A cette époque (en 1305), l'évêque Aymon du Quart décida que le millésime serait désormais compté depuis Noël. Ce changement de style est clairement indiqué dans la chronique genevoise connue sous le nom de Fasciculus temporis.

Dans le Vieux-Chablais, l'année commençait à Pâques, comme on en voit la preuve dans un certain nombre d'actes datés de St. Maurice et de Chillon.

Ces différences dans le mode de commencer l'année produisent une incertitude d'autant plus grande qu'il est fort rare, à certaines époques, de trouver indiqué dans les actes le style suivant lequel ils ont été datés. On sait d'ailleurs qu'ils ne l'étaient pas de la même manière, suivant qu'ils émanaient de l'autorité locale ou des chancelleries étrangères. Ainsi les actes émanés de la chancellerie impériale ou de la chancellerie de Savoie étaient datés selon le style natal, lors même qu'ils étaient instrumentés dans la Suisse occidentale. On est donc obligé le plus souvent de consulter encore les circonstances particulières de chaque charte pour savoir suivant quel mode la date a été formulée, et ces circonstances ne sont pas toujours assez concluantes pour que l'on soit certain d'éviter les erreurs. Il en résulte qu'on est souvent dans le doute sur la question de savoir si un acte daté des premiers mois de l'année appartient à l'année indiquée ou à l'année suivante. Il en est de même dans les cas assez nombreux où les actes ne portent que la date de l'année sans indication du mois et du jour (Cibrario, Storia della monarchia di Savoia, tom. II, pag. 341 et suiv. — Wurstemberger, Peter II, introd. pag. 35 et suiv. — Le Pays de Vaud et la Suisse romande, Etudes et recherches historiques (Lausanne 1858), pag. 150 à 154.).

On trouve quelquefois des renseignements précieux dans les notes chronologiques qui accompagnent l'année de l'ère chrétienne, en particulier dans les indictions, les épactes, ou les jours de la lune. Mais ces notes accessoires ne se présentent que rarement et à certaines époques, et ne paraissent pas avoir eu dans nos contrées un caractère de régularité aussi bien établi qu'elles pouvaient l'avoir dans des chancelleries plus importantes. On y remarque aussi certaines particularités, tenant à des habitudes locales, qui méritent d'être étudiées avec attention. C'est ainsi qu'on peut s'assurer, par la comparaison de divers actes des années 1313 et 1314, qu'à Lausanne le changement de l'indiclion coïncidait avec le changement de l'année de l'incarnation, c'est-à-dire qu'il avait lieu le 25 mars. Mais on voit ailleurs que cette méthode n'a pas été constamment suivie dans la même ville.

Les observations qui précèdent suffisent pour donner un aperçu des difficultés de la matière, et des règles qui nous ont guidé dans l'interprétation des dates. Du reste, comme nous avons eu soin de les transcrire dans leur langue originale, il sera facile de rectifier les erreurs que nous avons pu commettre, Nous ne pouvions avoir la prétention d'arriver du premier coup à une classification exempte d'erreurs. Nous espérons néanmoins que notre travail pourra rendre quelques services, en mettant sous les yeux du lecteur quelques éléments destinés à faciliter des études ultérieures.