ÉPISCOPAT DE HUMBERT DE GRAMMONT


1120 env. -1135

 


L'évêque Humbert appartenait à une noble famille du Bugey, celle des Grandmont ou Grammont, décanat de Ceysérieu, et il est signalé par les chroniques comme ayant été l'un des chanoines de Genève [cf. n° 257]. A son entrée dans l'épiscopat, il trouva son Église dépouillée par les prodigalités de son prédécesseur et par les spoliations violentes de quelques seigneurs voisins ; dès lors, recouvrer les biens enlevés et prévenir le retour de ces usurpations par la fixation précise des droits contestés, tel est le but qu'il paraît avoir poursuivi : les transactions politiques qui furent le résultat de ses efforts caractérisent son administration, et lui assignent un rôle spécial dans l'histoire.

Les circonstances générales de la chrétienté étaient favorables aux vues de l'évêque de Genève : la chaire apostolique était occupée par un prélat unissant à une haute naissance un caractère élevé et d'éminentes qualités politiques. Il fut donné à Calixte II de terminer par le concordat de Worms, conclu en 1122 avec l'empereur Henri V, la longue querelle des investitures ; c'est encore lui qui convoqua à Rome, l'année suivante, un concile général, le premier concile de Latran, qui, dans l'un de ses statuts, proclama que les laïques ayant usurpé des biens ecclésiastiques, étaient considérés comme sacrilèges. Avant d'être promu au souverain pontificat, Guy de Bourgogne avait, durant plus de trente ans, occupé le siège de Vienne; en cette qualité, il avait été le métropolitain de Genève et avait soutenu avec Guy de Faucigny des rapports personnels; aussi se trouvait-il bien placé pour connaître les droits de l'évêque de Genève vis-à-vis des seigneurs du voisinage, et pour lui prescrire la conduite qu'il avait à tenir.

D'après les ordres du pape, Humbert lança une sentence d'excommunication contre le comte de Genevois et ses adhérents, et mit leurs terres sous l'interdit ecclésiastique. Frappé par les foudres de l'Église, qui étaient alors redoutables et respectées, effrayé sans doute par la tenue à Vienne d'un concile provincial [266], et entraîné probablement par la soumission préalable de plusieurs de ses vassaux, le comte reconnut qu'il n'avait pas le droit de Conserver les biens ecclésiastiques dont il s'était mis en possession ; il consentit à se réunir avec l'évêque de Genève, dans une conférence tenue en présence de l'archevêque de Vienne, qui avait été désigné par le pape pour terminer cette affaire en qualité de légat apostolique. Le lieu de l'entrevue fut fixé à Seyssel, ville située en dehors du comté de Genevois, mais dans le diocèse de Genève, au point de ce diocèse le moins éloigné de Vienne. Le comte s'y rendit accompagné de ses principaux vassaux et officiers. L'archevêque de Vienne et l'évêque de Genève étaient assistés de plusieurs ecclésiastiques influents du diocèse, notamment de Gérard de Faucigny, à la fois prévôt de l'église de Genève et évêque de Lausanne. Le protocole authentique de ce qui se passa dans cette conférence, protocole scellé par les deux principaux contractants, a été conservé : il est connu sous le nom d'Accord de Seyssel et forme un document d'une importance capitale pour l'histoire de Genève. On en trouvera plus loin la reproduction intégrale.

Indépendamment de l'exposé sommaire des circonstances antérieures, l'Accord de Seyssel comprend deux parties liées entre elles, mais qu'il importe de distinguer. Dans la première, ayant le caractère d'une transaction, l'évêque et le comte statuent par une série de reconnaissances, puis d'abandons réciproques, à l'égard des voies de fait et des contestations qui s'étaient produites entre eux. Ils règlent successivement ce qui concerne les revenus ecclésiastiques ; les dîmes ; les personnes engagées à la fois envers l'évêque et envers le comte par des liens résultant du sacerdoce, du servage ou de la mouvance féodale ; enfin les biens ou fiefs appartenant en propre à l'un ou à l'autre des contractants. L'hommage du comte à l'évêque et la remise par celui-ci au premier de son ancien fief, forment le point culminant et en quelque sorte la sanction du compromis intervenu et de la paix rétablie entre eux.

Dans la seconde partie de l'acte, des experts choisis de part et d'autre en nombre égal, attestent, sous la foi du serment, l'état antérieur du droit public relatif à la ville de Genève. Ils déclarent quelles sont les attributions et les prérogatives de l'évêque, et quelle est la position du comte vis-à-vis du prélat, du clergé et des citoyens. Cette série de constatations rappelle ces points de coutume si fréquents en France et en Allemagne durant le moyen âge, et constitue le plus ancien monument du droit public genevois. Elle a été reproduite presque textuellement dans la plupart des traités subséquents entre les comtes de Genevois et les représentants de la puissance ecclésiastique.

Un autre accord conclu à Saint-Jean près Genève suivit probablement de très près celui de Seyssel. Humbert et Aimon y réglèrent une difficulté matérielle qui n'avait pas été prévue et confirmèrent leur adhésion aux principes consacrés à Seyssel. Le comte ne survécut que peu d'années à ces deux conventions; il eut pour successeur son fils Amédée, qui entra bientôt en lutte avec l'évêque de Lausanne et le comte de Zaeringen, mais qui semble avoir soutenu des relations pacifiques avec le clergé de Genève pendant la fin de l'épiscopat d'Humbert de Grammont.

Les chartes dans lesquelles ce prélat intervint directement sont peu nombreuses. On doit observer seulement que c'est le premier des évêques de Genève qui ait participé à des actes émanés de la cour de l'empereur. Besson dit, en se basant sur un manuscrit perdu aujourd'hui, que la mort d'Humbert eut lieu le 31 octobre 1135.

Liste de la Bible de Saint-Pierre, dans Bonivard, Chron. éd. Dunant, I, p. 184, - Besson, p. 14, - Blavignac, M. D. G. t. VII, p. 36.