ÉPISCOPAT DE FRÈRE NANTELME


1185 - 1206

 

On ne connaît point l'origine ni le nom de famille du successeur d'Arducius. D'après Guichenon, Nantelme aurait été chartreux et prieur de Vallon en Faucigny, ce que confirme un des documents de son épiscopat, qui lui donne la qualification de frère; du reste, l'élévation d'un moine à la plus haute charge ecclésiastique du pays ne doit point étonner dans un siècle où les ordres monastiques étaient l'objet d'une grande faveur, et qui avait vu s'établir les six chartreuses du diocèse de Genève.

Nantelme, avant de devenir évêque, avait été prévôt du chapitre de Saint-Pierre. Revêtu de cette dignité dès l'année 1181 au moins, il prit part dès lors à tout ce qui intéressait l'église de Genève, et put ainsi être initié aux vues d'Arducius, dont il devait poursuivre l'oeuvre commencée et continuer les traditions politiques. C'est en effet dans la courte période comprise entre les années 1184 et 1188 que l'on voit se succéder rapidement des actes et des traités de la plus haute importance pour l'histoire de Genève. Le premier de ces actes est la sentence arbitrale d'Aix rendue sous Arducius : Nantelme réussit à en obtenir la confirmation par Urbain III, sans négliger lui-même la lutte contre les pouvoirs laïques qui s'efforçaient d'éluder ou d'enfreindre cet arbitrage. Immédiatement après son élection, il s'était rendu à la cour de l'empereur Frédéric et s'était fait octroyer par lui, en novembre 1185, un rescrit analogue à celui de 1154, constatant sa qualité de Prince de l'Empire et sa possession des droits régaliens. On le retrouve auprès de l'empereur soit en Italie, soit en Allemagne, et l'on peut naturellement attribuer à son influence la citation solennelle du comte de Genevois devant la Cour impériale, citation qui eut lieu au commencement de l'année 1186. Il est difficile d'apprécier les circonstances dans lesquelles s'est suivie cette procédure, et de connaître la portée des griefs spéciaux ou généraux qui ont déterminé les sentences rendues par Frédéric Barberousse : Dans la première, datée du 1er mars 1186, il déclare que le comte, cité devant sa Cour, s'en est furtivement retiré, et, en conséquence, il le condamne à une forte amende, à une indemnité envers l'évêque, à la perte de ses fiefs et à la mise au ban de l'empire; puis en août de la même année, par un nouveau rescrit parlant de la persistance du comte dans sa rébellion, l'empereur autorise l'évêque à remettre les fiefs que le ci-devant comte tient du prélat, à d'autres vassaux capables de faire la guerre à cet ennemi de l'empire.

Un état d'hostilité aussi ouverte entre les divers pouvoirs du pays, état qui semble présager une crise violente ou un changement total dans la situation politique du diocèse, se termine néanmoins, en 1188, par un nouveau traité fait, à Genève même, entre l'évêque et le comte. L'archevêque de Vienne, leur arbitre commun, se borne à confirmer par cet acte les principes de droit public consacrés dans les transactions antérieures, à instituer des otages pour la garantie de la paix et à régler quelques contestations de détail.

L'étude de ce document n'explique d'une manière complète ni les causes du conflit, ni celles de sa solution à l'amiable ; à ce dernier point de vue toutefois, l'attention peut se diriger sur une phrase du préambule, dans laquelle l'évêque Nantelme énonce comme un motif pour abandonner momentanément ses prétentions, l'affliction que lui cause la prise de Jérusalem (3 octobre 1187). Les historiens s'accordent en effet pour signaler la commotion extraordinaire que ressentit à cette époque l'Europe entière et qui, devant le désastre commun, fit cesser partout les luttes entre les divers pouvoirs de la chrétienté. La mort d'Urbain III, l'appel solennel à une nouvelle croisade émané des cardinaux réunis pour l'élection de Grégoire VIII, leur proclamation d'une trêve générale de sept ans, l'annonce enfin du prochain départ de l'empereur Frédéric pour l'Orient, tous ces événements étaient de nature à faire oublier mainte rivalité locale, et ils peuvent bien expliquer en particulier la paix subitement conclue entre les autorités ecclésiastiques et laïques du diocèse de Genève.

Guillaume I, comte de Genevois, ne survécut que peu d'années à cette transaction et ne paraît pas, de même que son fils aîné Humbert qui lui succéda, avoir donné à l'église de nouveaux sujets de plainte. Quant à Nantelme, la fin de son épiscopat n'est marqué par aucun acte politique de quelque importance, mais ceux qui ont été conservés offrent un certain intérêt pour l'histoire des familles et des établissements religieux du diocèse.

Liste de la Bible de Saint-Pierre, dans Bonivard, édit. Dunant, I, p. 184. - Guichenon, Bibl, sebus. Cent. II, ch. 34, note. - Besson, p. 20. - Blavignac, M. D. G. t. VII, p. 38. - Pour la rectification du nom de cet évêque, appelé longtemps Nantelinus, voy. Mallet, M. D.G. t. II, p. 50, note; et ibid. IV, p. 113, note 179. - Sur l'état de l'Occident en 1187, voy. C. de Cherrier, Hist. de la lutte des Papes et des Empereurs de la maison de Souabe. Paris, I, p. 251 et suiv., ainsi que les sources qu'il cite.