COLLOQUE INTERNATIONNAL 29 septembre - 3 octobre 2009

BESANÇON - SAINT-MAURICE D'AGAUNE

Autour de saint Maurice :
Politique, société et construction identitaire.

 

Esther DEHOUX :

Le légionnaire et le souverain. Culte de saint Maurice et pouvoir central en France (VIIIe-XIIIe siècle)

 

 

 

Envisageant d'étudier la dimension politique intrinsèque au culte de saint Maurice dans l'espace franc, nous avons seulement, pour ces journées d'Agaune en 2008, exploré les pistes que suggère l'iconographie. Le constat de départ est simple : passions et textes liturgiques, chroniques des croisades et chansons de geste évoquent, avec plus ou moins de détails, la mort du Thébain mais, à notre connaissance et dans ces régions, aucune représentation n'est consacrée à son exécution avant le XIIIe siècle. Le martyre est pourtant un sujet apprécié des autorités ecclésiales car il permet d'aborder les questions de la mort, de la vie nouvelle et fonde de multiples exhortations. Ce décalage entre les écrits et les images n'est pas spécifique à Maurice car on l'observe également pour saint Georges. Les martyres de ces deux guerriers, bien que fort connus, ne sont pas retenus dans l'iconographie aux XI-XIIe siècles. Toutefois, à la différence du Cappadocien, le saint d'Agaune est, le plus souvent, piéton, portant ses armes mais n'en usant jamais.

Le corpus iconographique consacré au martyre de Maurice et de ses compagnons peut se diviser en deux groupes. Le premier, composé d'enluminures, se caractérise par l'absence de tout élément témoignant d'un statut militaire et par l'omniprésence de l'instrument du supplice. La conjonction de ces choix permet d'intégrer le Thébain dans la communauté des martyrs, l'essentiel n'étant pas qu'il ait été soldat mais qu'il soit resté ferme dans la foi. Ces images qui ornent des livres destinés à une piété personnelle correspondent, comme celles de la Légende dorée, à cette " nouvelle hagiographie " caractéristique du XIIIe siècle et de sa spiritualité. Le second, lui, contribue à singulariser Maurice et à le distinguer du guerrier déjà évoqué qu'est Georges. En effet, si ce dernier est le saint des croisés par excellence au XIIIe siècle - Jacques de Voragine le qualifie de dux christianorum - et accède à la sainteté par le don de sa vie, Maurice, lui, incarnerait davantage un modèle marqué par l'obéissance au prince et par la soumission à la loi, à celle de Dieu en premier lieu puisque c'est elle et elle seule qui justifie l'insubordination, mais aussi à celle du roi puisque le soldat est chargé de veiller à ce qu'elle soit respectée.

Il ne s'agit pas là d'une facette nouvelle de la personnalité du saint thébain. En effet, dans les images antérieures, le légionnaire porte toujours manteau, fibule et lance avec étendard. Ces attributs manifestent son pouvoir de commandement mais ils indiquent aussi que son autorité et son droit à manier les armes résultent d'une délégation de pouvoir et impliquent le service. Le nimbe, témoin d'une adéquation parfaite entre l'action ou l'attitude de l'être humain et la volonté de Dieu plus qu'insigne de la sainteté stricto sensu, est toujours attesté sur ces représentations de Maurice qui est en armes et reste immobile. Le légionnaire ne paraît donc pas devoir être compté au rang de ceux qui obtiennent la couronne de gloire en vertu de leurs combats. Le martyre ne semble pas non plus être, avec le saint d'Agaune, l'élément qui, seul, garantisse l'accès à la sainteté. Il est la conséquence d'une insubordination née de la contradiction entre les ordres reçus et les exigences divines et de la préférence pour ces dernières. Le Thébain incarnerait alors, du VIIIe au XIIIe siècle, un modèle de sainteté militaire marqué par l'obéissance au souverain, le service du prince étant sanctifiant voire sanctifié. L'image de Maurice participerait donc aussi de la définition de la fonction royale et du bon gouvernement.

Cette conclusion impose de nouvelles questions auxquelles il conviendra de répondre : celle du rapport qu'a le culte de Maurice avec la " mutation féodale ", celle du sens à donner au choix de représenter le martyre en insistant sur les raisons de celui-ci au moment où le pouvoir royal s'affirme, celle de l'idéologie qui sous-tend cette dévotion puisque Maurice, à la différence de Georges, ne semble pas être un modèle pour les croisés mais plutôt un exemple pour les guerriers qui, même si cela peut impliquer de partir en croisade, sont, avant tout, invités à se mettre au service du souverain chrétien.