COLLOQUE INTERNATIONNAL 29 septembre - 3 octobre 2009

BESANÇON - SAINT-MAURICE D'AGAUNE

Autour de saint Maurice :
Politique, société et construction identitaire.

 

Guy JAROUSSEAU :

Saint Maurice et l'Anjou

 

 

 

Le culte de saint Maurice en Anjou n'a fait l'objet d'aucune étude récente. Jean-Marc Bienvenu dans sa thèse de 1968 consacre au culte de saint Maurice quelques pages très utiles 1. De même, Jean-Michel Matz dans sa thèse aborde dans un ensemble plus large, certains aspects de ce culte pour les XIVe et XVe siècles 2. Il faut cependant se reporter à la somme de Louis de Farcy publiée de 1901 à 1926 en cinq volumes sur la cathédrale d'Angers pour trouver les bases d'une recherche sur le culte de saint Maurice en Anjou 3.

Ainsi la question des origines de ce culte dans l'Ouest du royaume de France et en particulier à Angers demeure problématique. Un premier constat s'impose. Ce culte manifeste les liens qui existent entre Tours et Angers puisque c'est à la même époque, au VIIIe siècle que dans les deux cités apparaît explicitement la dédicace de la cathédrale à saint Maurice 4. Ce fait est d'autant plus remarquable que dans le royaume de France en ses limites modernes seulement quatre cathédrales, Angers, Tours, Vienne et Mirepoix (siège érigé en 1317) sont dédiées à ce saint. La question est donc double : comment expliquer le caractère solennel du culte rendu à saint Maurice en Anjou et son implantation dans une zone éloignée de la Bourgogne et des Terres d'Empire ? Selon une tradition liturgique commune à Tours et Angers reprise aux XVIIe et XVIIIe siècles 5, l'introduction du culte à saint Maurice serait due à saint Martin. Si cette tradition n'est attestée qu'à partir de la fin du XIIe siècle, la présence des saints d'Agaune est beaucoup plus ancienne. Grégoire de Tours raconte comment, en 589, il a procédé à la reconnaissance des reliques des martyrs d'Agaune qui avaient été transférées en 558 dans le trésor de la basilique saint Martin. Grégoire indique, selon le témoignage de prêtres âgés, que ces reliques avaient été recueillies " depuis les temps anciens ". Si l'hypothèse martinienne semble fragile du fait même que Grégoire ne l'évoque pas, l'ancienneté d'un culte envers Maurice dans l'Ouest du royaume ne fait aucun doute. De la même manière l'hypothèse proposée par Luce Piétri de l'introduction de ce culte par la reine Clotilde († 548) d'origine burgonde est peu probable 6. Le souvenir en aurait été vraisemblablement conservé, or Grégoire et les prêtres âgés de Tours n'en disent rien. Il faut donc chercher d'autres circonstances.

Pour ce qui concerne le développement du culte en Anjou d'autres aspects restent à explorer.

Il faut d'abord souligner le nombre restreint d'églises dédiées à Saint-Maurice dans le diocèse d'Angers, au total sept églises en comptant la cathédrale auxquelles il faut ajouter une église dédiée à saint Sigismond. Deux éléments retiennent l'attention. D'une part le fait que la plupart de ces églises relèvent de l'évêque ou du chapitre cathédral et qu'elles soient situées dans des domaines connus dès l'époque carolingienne. Et d'autre part que cet aspect doit être envisagé en tenant compte, des zones en limite du diocèse tournées vers deux autres diocèses de l'Ouest qui ont des églises dédiées à saint Maurice, Tours et Poitiers.

Par ailleurs, la présence de reliques des saints d'Agaune est connu en Anjou par des lettres des années 1177-1183 qui évoquent les ampoules du sang des martyrs, puis par les inventaires de la cathédrale d'Angers. Dans celui de 1256 (n.s.) figure, dans l'ordre sur une soixantaine d'items : en deuxième position : le bras du bienheureux Maurice dont l'acquisition eut lieu à l'occasion de la 4ème croisade en 1203, il s'agit en fait, vraisemblablement, d'une relique de Maurice d'Apamée assimilé au martyr d'Agaune ; en troisième position : le sang du bienheureux Maurice et de ses compagnons conservé dans une ampoule de cristal ; et en dixième position : des reliques du bienheureux Maurice. Une autre relique retient l'attention, celle du chef de saint Innocent, compagnon de saint Maurice, qui fut rapportée en Anjou par l'évêque Eusèbe Brunon († 1081). Cet événement contribue à éclairer les origines probablement bourguignonnes de cet évêque. Il accède à l'épiscopat en 1047 dans le contexte du projet politique qui vise, à l'instigation de la comtesse Agnès, à établir une alliance de l'Anjou avec l'Empire 7.

Enfin, l'étude prosopographique des personnes portant le nom de Maurice du Xe au XIIIe siècle vient confirmer l'enracinement de ce culte.

L'étude de l'ensemble de ces sources diplomatiques, narratives, hagiographiques et liturgiques permet de rendre compte de l'établissement du culte envers saint Maurice et ses compagnons en Anjou, et des moments où il fut particulièrement à l'honneur dans des contextes politiques et religieux bien spécifiques.

Guy Jarousseau
Université catholique de l'Ouest (Angers)

 

Références bibliographiques :


1 Jean-Marc Bienvenu, " Recherches sur le diocèse d'Angers au temps de la Réforme grégorienne (XIe siècle et première moitié du XIIe siècle) ", Université de Paris-Sorbonne, thèse d'histoire de 3ème cycle, 1968 (ouvrage dactylographié).

2 Jean-Michel Matz, " Les miracles de l'évêque Jean-Michel et le culte des saints dans le diocèse d'Angers (v. 1370-v. 1560) ", 3 vol., thèse d'histoire, Université de Paris X-Nanterre, 1993 (ouvrage dactylographié).

3 Louis de Farcy, Monographie de la cathédrale d'Angers, Angers, Josselin (l'auteur ; Paris, Desclée, de Brouwer et Cie), 1901-1926, 4 vol. in-4, et un vol. de pl. in-folio.

4 Guy Jarousseau, " Épiscopat et églises en Anjou au haut Moyen Âge ", 2 vol., thèse d'histoire, Université Paris-Sorbonne (Paris IV), 2005 (ouvrage dactylographié).

5 Joseph Grandet († 1724), " Traité historique de toutes les églises d'Angers dédiées à la Vierge ", Bibliothèque municipale d'Angers, ms 621, fin XVIIe-début XVIIIe siècle, éd. A. Lemarchand, Notre-Dame l'Angevine, Angers, Germain et Grassin, 1884.

6 Luce Piétri, La ville de Tours du IVe au VIe siècle, naissance d'une cité chrétienne, Ecole française de Rome, Rome, 1983 (Collection de l'Ecole française de Rome, 69).

7 Olivier Guillot, Le comte d'Anjou et son entourage au XIe siècle, 2 vol., Paris, Picard, 1972 ; et Bernard de Vregile, Hugues de Salins, archevêque de Besançon : 1031-1066, 3 vol., Lille, Atelier national reprod. th. Univ. Lille 3, 1978.