INTRODUCTION

 

IX

Ducs ou recteurs de Bourgogne.

 

 

Devenus maîtres de la Bourgogne, les empereurs y exercèrent fréquemment leur pouvoir d'une manière directe, soit lorsqu'ils se transportaient en personne dans le pays, soit lorsqu'ils expédiaient des diplômes ; mais ils ne tardèrent pas à se faire représenter par des lieutenants, connus sous le nom de ducs ou recteurs de Bourgogne. Cette charge, qui fut exercée successivement par divers princes, et en particulier par les ducs de Zaeringen, a donné son nom à cette époque. Elle a été l'objet d'un excellent mémoire de M. le baron de Gingins, qui renferme tout ce que l'on peut savoir de plus précis sur cette partie de notre histoire. Nous en extrairons seulement quelques uns des points essentiels.

Malgré la défaite d'Othon de Champagne en 1034, les comtes de Bourgogne n'en continuèrent pas moins leurs tentatives pour faire valoir leurs prétentions sur la Suisse occidentale. C'est ainsi, qu'en 1045, nous voyons le comte Réginold, assisté de Gérold, comte de Genève, essayer de renouveler la lutte contre l'empereur Henri III. Mais celui-ci les vainquit et les obligea à faire leur soumission.

Ce fut en 1057, après la mort de Henri III, que la charge de recteur de Bourgogne fut exercée pour la première fois par Rodolphe de Rheinfelden, qui en fut investi par l'impératrice Agnès. Rodolphe remplit ces fonctions jusqu'à l'an 1077, époque à laquelle il fut nommé roi de Germanie, et transmit le rectorat à son fils Berthold. Mais celui-ci, étant encore en bas âge, fut placé sous la tutelle du duc Berthold de Zaeringen.

En 1093, ce même Berthold de Zaeringen fut nommé duc de Souabe et de la Suisse allémanique, par une réunion de seigneurs tenue à Ulm, en opposition à Frédéric de Hohenstaufen, qui avait reçu l'investiture de ce duché des mains de l'empereur Henri IV. Mais, en 1097, Berthold fut obligé de renoncer aux droits dont il avait été revêtu, et ne conserva dans la Suisse allémanique que le vicariat impérial de Zurich, pour lequel il dut prêter hommage à l'empereur. Il garda néanmoins le titre de duc, et conserva également, du chef de sa femme Agnès, fille de Rodolphe de Rheinfelden, les domaines importants que celle-ci avait acquis par héritage de son père et de son frère. Ces domaines se trouvaient situés en divers lieux, et en particulier dans l'Emmenthal, comme on peut le voir par les chartes des années 1108, 1109 et 1111 (27 décembre).

Les circonstances que nous venons de rapporter redonnèrent une nouvelle force aux prétentions des comtes de la Haute-Bourgogne, et Guillaume l'allemand, l'un de ces comtes, augmenta son influence soit en épousant la fille du duc Berthold de Zaeringen, soit en recueillant en 1107 la succession de son grand-père maternel, Conon d'Oltingen, qui lui laissa la suzeraineté des importants domaines de sa maison. Guillaume l'allemand mourut de mort violente en 1125 ou 1126, et laissa ses états à son fils Guillaume l'enfant. Mais celui-ci ne lui survécut que peu de temps ; il fut assassiné dans l'église de Payerne, le 1er mars 1127.

Le comte Rainaud, successeur de Guillaume l'enfant, ayant refusé de prêter hommage à l'empereur, la diète de Spire le déclara déchu de ses droits, et accorda le rectorat de Bourgogne à Conrad, duc de Zaeringen, qui le conserva et le transmit plus tard à ses successeurs.

Conrad mourut en 1152, et laissa son héritage à son fils Berthold, quatrième du nom. Celui-ci conclut en 1155, avec l'empereur Frédéric I, un arrangement qui lui assurait la possession de l'avouerie des évêchés de Genève, Lausanne et Sion. Il s'engagea, en échange, à accompagner l'empereur en Italie, à la tête des guerriers de la Transjurane. Ce fut lui qui construisit, en 1178, sur les bords de la Sarine, la ville nouvelle de Fribourg. Il mourut le 13 septembre 1186.

Berthold V, son fils, lui succéda. Ce prince orgueilleux et puissant, qui refusa d'accepter la couronne impériale, consolida encore davantage le pouvoir de sa maison, car la noblesse romande s'étant révoltée, pendant qu'il était allé accompagner l'empereur Frédéric Barberousse en Terre-Sainte, il la battit à son retour en 1190, près de Payerne. Ce fut alors qu'il fonda la ville de Berne, autre cité nouvelle qui devait plus tard l'emporter sur les anciennes. Berthold V mourut sans laisser d'enfants, le 14 février 1218, et transmit aux comtes de Kibourg, la ville de Fribourg et la plupart des domaines allodiaux qu'il possédait en Suisse. Avec lui se termina la période du rectorat, et pendant tout le milieu du XIIIe siècle, la Suisse occidentale devint de nouveau une arène ouverte aux prétentions rivales d'un grand nombre de compétiteurs.

L'autorité des ducs de Zaeringen était un pouvoir bien réel ; cependant le petit nombre des actes qui nous sont parvenus ne nous donnent pas une idée bien nette des attributions et du mode d'exercice de cette lieutenance impériale. Elle paraît avoir eu principalement pour objets le commandement militaire, la protection des églises et le jugement de certaines contestations qui étaient alors très fréquentes. Il est certain, du reste, que les Zaeringen possédaient de nombreuses et importantes propriétés, soit en Suisse, soit en Souabe, et l'on sait qu'à cette époque, les grandes propriétés territoriales donnaient une prépondérance qui équivalait à la souveraineté.