ÉPISCOPAT DE ARDUCIUS DE FAUCIGNY


1135 - 1185

 

Le successeur d'Humbert de Grammont fut Arducius, fils de Rodolphe, sire de Faucigny. Il était ainsi petit-neveu de Guy, évêque de Genève de 1078 à 1120, et neveu d'Amédée, évêque de Maurienne, et de Gérold, qui fut à la fois évêque de Lausanne (de 1103 à 1128) et prévôt de l'Eglise de Genève. La coincidence de ces dignités révèle le crédit dont jouissait alors la maison de Faucigny et l'influence prolongée qu'elle exerça sur le diocèse de Genève.

Dès sa première jeunesse, Arducius fut revêtu de la charge de prévôt de l'Eglise de Lausanne, et il l'exerça pendant tout le cours de sa vie. Sans admettre, conformément au cartulaire de cette Eglise, qu'il a porté ce titre durant quatre-vingts ans, il est néanmoins fort probable qu'il l'avait obtenu sous l'épiscopat et par la faveur de son oncle Gérold. On peut présumer aussi que c'est à la haute position de sa famille, plutôt qu'à son mérite personnel, que fut due son élévation à l'évêché de Genève. En effet, saint Bernard, dans deux lettres qu'il lui écrivit à cette occasion, ne craint pas de dire qu'on est loin de rencontrer dans sa personne le caractère et la science qui l'auraient naturellement désigné à l'épiscopat. L'abbé de Clairvaux espère toutefois que, par la suite, il acquerra les qualités qu'il aurait dû posséder avant de revêtir les fonctions épiscopales. On ignore jusqu'à quel degré ces espérances furent réalisées et quels furent, au point de vue religieux, la conduite et l'influence d'Arducius; mais les évêques de Genève avaient à cette époque, outre leurs devoirs sacerdotaux, une mission à accomplir et des intérêts à sauvegarder dans l'ordre temporel. Cette tâche, Arducius s'en est acquitté avec autant d'énergie que de succès.

Malgré les prescriptions claires et détaillées de l'accord de Seyssel de 1124, le comte de Genevois tendait sans cesse à empiéter sur les droits réservés à l'Eglise, et il saisissait toutes les occasions qui lui paraissaient favorables pour augmenter ses prérogatives aux dépens de celles de l'évêque. Or, durant un épiscopat d'un demi-siècle, Arducius maintint avec fermeté contre son antagoniste l'indépendance des pouvoirs de l'Eglise, et il chercha la sanction et la garantie de ces pouvoirs auprès des deux autorités supérieures de la chrétienté, le souverain Pontife et l'Empereur. A diverses reprises, en effet, la gravité des contestations entre l'évêque et le comte ayant nécessité des transactions, celles-ci furent solennellement conclues par-devant le métropolitain du diocèse, assisté d'un grand nombre d'autres prélats et de nobles du voisinage, notamment à Saint-Sigismond en 1156, et à Aix en 1184; ces actes maintinrent et appliquèrent les principes de l'ancien droit du pays, tels qu'ils avaient été reconnus en 1124. Dans chacun de ces cas, Arducius sollicita du pape la confirmation de ces transactions, et obtint leur reproduction intégrale dans des bulles papales. Mais ce fut surtout quant à la hiérarchie temporelle qu'Arducius sauvegarda heureusement les privilèges de son Eglise et son indépendance politique.

Les évêques de Genève possédaient dès longtemps tous les attributs de la souveraineté sur leur ville épiscopale, et occupaient une haute position dans les premiers rangs de la cour impériale [Cf. 271] : ils réunissaient ainsi les principales conditions auxquelles, dans le droit de l'époque, était généralement attachée la dignité de Prince de l'Empire. Cette dignité fut authentiquement reconnue à Arducius par Frédéric Barberousse, lorsque ce monarque, par son diplôme de 1154, l'investit solennellement des droits régaliens. C'est en se fondant sur ce diplôme que, huit ans plus tard, Arducius parvint à faire révoquer, par une décision souveraine de la cour impériale, l'investiture de ces mêmes régales induement obtenue de l'empereur par le duc Berthold de Zaeringen, et que celui-ci avait à son tour transmise à prix d'argent au comte de Genevois. L'évêque, par cette décision suprême, non-seulement obtenait la confirmation des droits temporels de l'église de Genève, mais assurait pour l'avenir sa mouvance immédiate de l'Empire.

Indépendamment de cette active sollicitude pour les intérêts directs de son Eglise, on retrouve fréquemment Arducius auprès de Frédéric, dont il paraît avoir vivement embrassé la cause durant les luttes de celui-ci avec le pape Alexandre III. Il l'accompagne dans une de ses expéditions de Lombardie, assiste à sa cour en Franche-Comté et en Alsace, et signe plusieurs actes émanés de lui. Après la réconciliation entre le pape et l'empereur, il prend part, en 1179, au troisième concile de Latran.

Arducius ne jouissait pas de moins de crédit dans des contrées plus rapprochées de son siège épiscopal. Outre les actes nombreux auxquels l'appelait sa charge de prévôt de Lausanne, il intervint souvent dans des accords ménagés, soit entre divers dignitaires ecclésiastiques, soit entre ceux-ci et des seigneurs temporels. Dans son diocèse, il confirma à maintes reprises les donations faites à plusieurs établissements monastiques, spécialement à Bonmont, à Aulps et à Oujon. Il céda lui-même des revenus d'église à quelques couvents, mais sans imiter ni la prodigalité reprochée à son oncle Guy de Faucigny, ni la condescendance de celui-ci vis-à-vis des membres de sa famille. C'est grâce à Arducius, au contraire, que l'Eglise de Genève paraît avoir acquis la possession du mandement de Thiez, connu aussi sous le nom de terre de Salaz, qui avait appartenu jusqu'alors à la maison de Faucigny.

Dans un siècle qui fut l'apogée du moyen âge et l'époque héroïque du régime féodal, Arducius représenta avec éclat le rôle assigné aux princes-évêques : s'il ne parvint pas à mettre un terme aux luttes de son siège avec les comtes de Genevois, luttes dont la gravité augmenta sous son successeur, il n'en exerça pas moins sur les destinées de sa cité épiscopale une action qui fut aussi considérable que salutaire.

Liste de la Bible de Saint-Pierre, dans Bonivard, Chron., édit. Dunant, I, p. 184. - Cartul. de Lausanne. M. D. R. t. VI, p. 428. - Besson, p. 15 et s. - Art de vérifier les dates, édit. folio, t. III; éd. 8° t. XVII, p. 124. - Mallet, M. D. G. t. II, p. 141. - Blavignac, ibid. VII, p. 36. - Pictet de Sergy, Hist. de Gen. I, p. 234 à 273.