ÉPISCOPAT D'AIMON DE GRANDSON


1215 - 1260

 


Aimon de Grandson appartenait à une des familles les plus anciennes et les plus puissantes de l'Helvétie romande. Il avait pour père Ebal, seigneur de La Sarraz et de Grandson, pour frères, Girard, Pierre et Henri ; ce dernier était connu sous le nom de seigneur de Champvent. Lui-même, voué sans doute dès sa jeunesse à l'Église, était sous-diacre à Lausanne en 1210 [520], puis chantre du chapitre de cette ville en 1212 [532]. On ignore la date précise de son élection comme évêque de Genève, mais le premier acte dans lequel il figure en cette qualité est de l'année 1215. Il résigna ses fonctions en 1260 et mourut deux ans plus tard.

Un document, plus étendu que ne le sont d'ordinaire les actes de cette époque, jette du jour sur la situation du diocèse et permet en particulier d'apprécier le caractère et l'administration d'Aimon de Grandson. Dix années environ après sa nomination, plusieurs griefs paraissent avoir été articulés contre lui : aussi voit-on les papes Honorius III et Grégoire IX, suivant la marche usitée alors en pareil cas, charger trois délégués de procéder à une enquête. Elle eut lieu au plus tôt en septembre 1227 ; dix-sept témoins, tous ecclésiastiques du diocèse, furent entendus, et le procès-verbal de leurs dépositions est conservé dans les Archives de Genève. Aimon y est représenté comme un prélat doué de talents et de certaines aptitudes administratives; c'est à lui en particulier que sont dues l'érection du château de l'Ile et la reconstruction de celui de Marval. Malgré la vivacité ou l'hostilité avouée de quelques-uns des témoignages, on ne lui reproche aucun de ces méfaits ou de ces désordres graves qui souvent, à pareille époque, sont imputés aux chefs du clergé ; mais il apparaît comme un homme de tendances mondaines, aimant une vie aisée, et qui apporte trop souvent de la négligence dans ses fonctions spirituelles, de la partialité dans l'exercice de la justice, des procédés arbitraires ou empreints de faiblesse dans la gestion des intérêts temporels de l'évêché. Plusieurs dépositions démontrent un antagonisme de vues entre lui et son Chapitre, et ce sont généralement des chanoines qui font entendre les plaintes les plus accentuées ; il est donc naturel d'admettre que cette enquête, dont on ignore la solution officielle, aboutit à un ensemble de contestations entre l'évêque et le Chapitre, au sujet desquelles intervint, le 7 juin 1234, une sentence arbitrale prononcée par l'archevêque de Vienne.

Plus de 360 chartes correspondent à l'épiscopat d'Aimon : on ne saurait donc en signaler ici qu'un très petit nombre, même parmi celles qui ont une portée politique. Peu d'années après son élection, en 1219, l'évêque conclut avec le comte de Genevois le traité dit de Desingy, qui vient clore la série des transactions ouvertes un siècle auparavant par l'accord de Seyssel. Mais cet acte présente deux circonstances spéciales, l'une et l'autre difficiles à expliquer : en premier lieu, il n'émane point du chef de la famille, c'est-à-dire du comte Humbert qui avait succédé, dès 1195 à son père Guillaume I, et qui figure encore en 1220 avec le titre de comte; c'est son frère cadet, Guillaume II, qui intervient seul dans le traité de Desingy, qui conserve dès lors le comté et le transmet à ses descendants, tandis que Pierre et Ebal, fils d'Humbert, émigrent en Angleterre et meurent sans postérité. En second lieu, Guillaume prête hommage expressément pour l'ensemble du comté, et c'est de l'évêque qu'il en reçoit la pleine investiture. Ce prélat, par l'interdit qu'il avait lancé sur le diocèse et qu'il lève en faveur de Guillaume, aurait-il été l'auteur de ces changements dynastiques et féodaux, ou ceux-ci proviennent-ils de faits personnels demeurés inconnus? Aucun document précis ne conduit à la solution de ce problème historique.

Pendant qne ces faits se passaient, un orage également menaçant pour l'évêque et pour le comte se formait autour d'eux, et une transformation considérable ne tarda pas à s'opérer dans la situation politique des contrées dont Genève est le centre. Pierre de Savoie, l'un des fils cadets du comte Thomas, voué dans sa jeunesse à la vie ecclésiastique et ne paraissant point appelé à parvenir un jour au comté, fut le rival à la fois habile et heureux qui devait ébranler la puissance de la maison de Genève et en préparer la chute future. C'est aux qualités personnelles de Pierre, à son union avec l'héritière du Faucigny, à l'appui politique et financier qu'il trouvait dans ses relations avec son neveu le roi d'Angleterre, enfin au morcellement du pays entre des seigneuries rivales, trop disposées par faiblesse ou par intérêt à vendre leurs services, qu'est due la rapide et prodigieuse création, sur les deux rives du lac, d'une vaste puissance féodale se subordonnant tous les pouvoirs locaux et posant pour l'avenir les bases d'une véritable principauté monarchique. Les principales phases de ce développement se sont accomplies en dehors du diocèse de Genève, le Régeste n'a donc pas eu à les signaler, et elles l'ont été depuis quelques années dans des ouvrages remarquables, tels que ceux de Cibrario, de Wurstemberger, de Vulliemin, etc. Mais l'antagonisme avec la maison de Genève constituait un des pivots de la lutte et de l'ambition de Pierre de Savoie ; aussi, dans les limites du présent ouvrage, on assiste à une série d'attaques indirectes, de contestations et de guerres ouvertes avec le comte Guillaume et ses fils, aboutissant à des arbitrages et à des traités qui consacrent un abaissement profond de ces seigneurs. Enveloppé par les possessions héréditaires de la Savoie, par les nouveaux domaines de Pierre et par les seigneuries de Faucigny et de Gex, soumises l'une et l'autre à son influence, le comte de Genevois fut contraint de remettre, à titre de gage, à son adversaire, une grande partie de ses fiefs et de ses châteaux, entre autres celui de Genève, l'ancien manoir de sa famille. L'acte important d'où résulte ce nouvel état de choses porte la date du 28 juin 1250.

En résumé, l'épiscopat d'Aimon de Grandson, qui ne le cède guère en durée qu'à celui d'Arducius, offre une transition entre les deux phases principales de l'histoire de Genève au moyen âge, marquées, la première par les conflits avec les comtes de Genevois, la seconde par les progrès d'influence et les prétentions de la maison de Savoie.

Liste de la Bible de Saint-Pierre, dans Bonivard, édit. Dunant, I, p. 185. - Besson, p. 26. - Blavignac, M. D. G. t. VII, p. 40.- Mallet, ibid. p. 202.- Pour la généalogie d'Aimon de Grandson, voy. M. D. R. t. I, part. 2, p. 28, et dans le Régeste, les actes de mars 1238 et du 3 février 1251.