ÉPISCOPAT DE ROBERT DE GENÈVE


1276 - 1287

 


Guillaume II, comte de Genevois, père de l'évêque Robert, avait vu trois autres de ses fils revêtus avant celui-ci de la dignité épiscopale. C'étaient: Amédée, nommé en 1252 évêque de Die, Aimon, appelé en 1260 au siège de Viviers, et Guy ou Guillaume qui fut promu en 1267 à l'évêché de Langres. Dès l'année 1252, Robert lui-même apparaît comme chanoine de Vienne [846], et vingt ans plus tard, on le retrouve comme prévôt à Lausanne. Il est probable que ce fut vers la fin de l'année 1275 que les suffrages du chapitre de Saint-Pierre le placèrent à la tête du diocèse de Genève, dans les destinées duquel son épiscopat devait tenir une importante place.

Prélat consciencieux et sans faste, Robert se montra, dès le début de son ministère épiscopal, le vigilant défenseur des intérêts de l'Eglise et le sérieux réformateur des abus qui s'étaient introduits dans les institutions monastiques. Sa visite pastorale en 1276 et la réforme en 1279 du couvent d'Entremont, dans laquelle avait échoué l'abbaye-mère d'Abondance, témoignent du zèle et de l'énergie qu'il sut déployer dans l'accomplissement de sa tâche. On peut trouver de même une preuve de l'affection qu'il inspirait à ses administrés dans le beau produit (300 livres) d'une collecte qu'il fit en 1278 pour l'acquisition d'une maison située à Longemale sur les bords du lac, et destinée à servir de seconde résidence aux évêques de Genève. Il se réserva toutefois la jouissance de cette maison sa vie durant, pour le cas où il viendrait à abdiquer l'épiscopat : clause curieuse qui semble dénoter, soit le peu de prix qu'il attachait à la conservation de sa dignité, soit la prévision des difficultés qu'il devait rencontrer à la fin de sa carrière.

Bien que les premières années du règne de Robert, toutes consacrées à l'exercice de son pouvoir religieux, se soient écoulées sans conflit avec les seigneurs qui possédaient à côté de lui des droits et des immunités dans le diocèse, il est permis de supposer qu'en choisissant leur évêque dans la famille des comtes de Genevois, les chanoines de Saint-Pierre avaient entendu protester et se défendre contre l'influence toujours croissante de la maison de Savoie. Ce fut en 1282 qu'éclata la lutte dans laquelle fut entraîné Robert, si même il n'en fut pas l'instigateur. Son neveu Amédée, qui venait de succéder à Aimon, comte de Genevois, voulut en effet mettre à profit, pour relever la fortune politique de sa maison, l'occasion favorable que lui présentaient, d'une part, la guerre que le comte Philippe de Savoie, affaibli par l'âge, soutenait alors contre Rodolphe de Habsbourg, nouveau roi des Romains, d'autre part, l'antagonisme toujours subsistant entre ce prince et sa nièce, Béatrix de Faucigny, fille de Pierre de Savoie. Amédée conclut donc à Versoix, le 2 juin 1282, avec, cette princesse et son fils Jean, Dauphin de Viennois, une alliance offensive et défensive, où intervint l'évêque Robert, et dont une des clauses promettait au comte de Genevois la libération de la gagerie qui pesait sur une partie de ses domaines au profit du comte de Savoie. La lutte paraissait dès lors imminente entre toutes ces maisons rivales, lorsque la mort subite à Bonneville du jeune Dauphin vint au contraire, par une péripétie imprévue, modifier tous les intérêts politiques et rompre la coalition récemment formée. L'évêque Robert en particulier, mal secondé par une partie de son clergé et probablement contraint par la majorité des citoyens de Genève, dut se hâter de renouer avec le comte de Savoie des relations d'amitié réciproque [n° 1186].

Ce rapprochement dura peu. La mort de Philippe, survenue le 15 août 1285, devint le signal de la repiise des hostilités entre les divers princes apanages dans le diocèse. Le nouveau comte de Savoie, Amédée V, ne pouvait faire valoir ses prétentions à la succession de son oncle sans provoquer l'opposition de son frère Louis, qui voulait en prendre sa part, et sans réveiller en même temps l'antagonisme des adversaires naturels de sa maison, le comte de Genevois, Béatrix de Faucigny et son gendre Humbert, nouveau Dauphin de Viennois. C'est en vain qu'Amédée de Savoie parvint à obtenir par une trêve la neutralité de ce dernier prince ; on voit Amédée de Genève et Béatrix renouveler entre eux, à Châtillon-sur-Cluses, l'alliance conclue en 1282 à Versoix où l'évêque Robert était partie. Aussitôt le comte de Savoie, voulant se conserver la possession de l'ancien château de Genève, et profiter des sympathies que lui témoignaient les citoyens de la ville, se hâte d'entrer en armes dans leurs murs et de conclure avec eux une convention, dont les termes n'ont pas été conservés, mais dont le but et le caractère sont suffisamment expliqués par les événements ultérieurs. Toutefois l'occupation militaire de Genève ne fut pas de longue durée. L'évêque Robert, qui avait vu sa domination légale violemment troublée, protesta énergiquement contre l'usurpation du comte; et, grâces à l'intervention amicale de l'évêque de Lausanne, un traité fut conclu le 29 septembre 1285, par lequel le comte de Savoie s'engageait à ne plus entrer en armes dans Genève, replaçait cette ville sous la souveraineté de l'évêque, et déliait les citoyens du serment de fidélité qu'il leur avait fait prêter. En outre, Amédée V et Robert se garantissaient mutuellement les droits qu'ils possédaient dans Genève et stipulaient que leurs châtelains du Bourg-de-Four et de l'Ile ne pourraient être changés sans leur consentement réciproque.

Cette transaction, qui semblait remettre toutes choses en l'état précédent et restaurer l'autorité de l'évêque, ne détruisit cependant point l'influence que le comte de Savoie avait acquise auprès des citoyens de Genève, et n'empêcha pas ces derniers de profiter de son appui pour travailler au développement de leurs libertés municipales. En effet, dès le lendemain de la conclusion du traité, l'évêque le leur communiqua, les qualifiant de citoyens ou bourgeois, et s'adressant à eux, non pas seulement comme à des individus pris isolément, mais comme à une Communauté dont il reconnaît l'existence collective. Dès ce moment, les bourgeois, qui n'avaient jusqu'alors joui que de droits civils et personnels, et possédé que des coutumes locales, aspirent à des prérogatives plus générales et plus importantes ; ils cherchent à s'immiscer, par l'intermédiaire de magistrats élus, dans les affaires de police, d'administration et de finances. Cette tentative d'émancipation est clairement signalée comme antérieure à la mort de l'évêque Robert, dans les réclamations que fit entendre plus tard son successeur Guillaume de Conflans. Ce qui prouve du reste que la protection dont le comte de Savoie couvrait les bourgeois de Genève dans leur essai d'affranchissement, survécut au traité momentanément conclu entre eux, ce sont les lettres patentes d'Amédée V, datées du 1er octobre 1285, par lesquelles il leur promet de garantir leurs coutumes et franchises, et les place pour la défense de leurs droits sous sa protection immédiate et celle de ses officiers ; ce sont encore les protestations du 17 juin 1286, faites par le bailli de Savoie, au nom du comte et de la majorité des citoyens, contre certaines mesures prises par l'évêque au mépris des conventions intervenues et des droits de la communauté.

Il n'y a donc pas lieu de s'étonner en voyant, dans la même année 1286, Robert allié de nouveau à son neveu, le comte de Genevois, pour la lutte que celui-ci recommença contre Amédée V ; mais l'évêque se trouvait alors bien rapproché de la fin de sa carrière; il mourut le 14 janvier 1287, laissant son diocèse, et l'intérieur de la ville en particulier, dans des conditions très différentes de celles dont il avait cru, par sa politique de famille, préparer la réalisation.

Liste de la Bible de Saint-Pierre, dans Bonivard, édit. Dunant, I, p. 185. - Besson, p. 31. - Blavignac, M. D. G. t. VII, p. 42. - Mallet, ibid. p. 279 et suiv. et VIII, p. 109 et suiv., et I, part. 2, p. 8 et suiv..