ÉPISCOPAT DE GUILLAUME DE CONFLANS


1287 - 1295

 


On a dit déjà que Guillaume de Conlans avait succédé à Robert de Genève dans le courant de l'année 1287, mais que l'époque de son élection était incertaine. Les antécédents de ce prélat et les motifs de sa promotion à l'évêché de Genève ne sont pas mieux connus ; il est probable toutefois, comme l'avance Besson, qu'il avait été chanoine de Saint-Jean de Lyon et qu'il était issu d'une branche de la famille de Duing, établie à Conflans dans la vallée de l'Isère.

Dès son entrée en fonctions, Guillaume prit vivement à coeur les intérêts de son Eglise, dont la position critique s'était encore aggravée depuis la mort de l'évêque Robert, par suite des événements accomplis pendant la vacance du Siège. La durée presque entière de son épiscopat fut remplie par des luttes toujours renaissantes, soit avec le comte de Savoie, soit avec les citoyens de Genève, soit enfin avec le comte de Genevois, qui s'efforçaient à l'envi, les uns et les autres, d'empiéter sur les anciennes prérogatives des évêques. Quelques-unes des transactions auxquelles ces luttes aboutirent ont constitué, pour plusieurs siècles, les bases du droit public genevois ; il ne semblera donc pas hors de propos de résumer ici les principales phases de ces conflits.

Entre les adversaires de l'évêque, le plus puissant était le comte de Savoie, qui venait de s'emparer du château de l'Ile, et qui, fort de l'appui intéressé qu'il rencontrait chez les citoyens, devait bientôt étendre le cercle de ses usurpations. Aussi c'est contre lui que Guillaume dirige ses premières défenses et c'est lui qui sera l'objet de ses dernières monitions. A peine l'évêque est-il informé de son élection, qu'il adresse, en novembre 1287, au comte de Savoie, trois remontrances successives, pour qu'il ait à remettre le château de l'Ile entre les mains de l'Eglise. Ces remontrances étant demeurées sans résultat, l'évêque lance, le 30 décembre, l'interdit sur les terres d'Amédée de Savoie situées dans son diocèse, et il défend d'y célébrer l'office divin, tant que la restitution du château de l'Ile ne serait pas opérée. A ces armes canoniques, le comte oppose un appel au Saint-Siège. Dès lors, deux années s'écoulent; et lorsque cette procédure ecclésiastique est plus activement reprise à la suite du concile provincial de Vienne, tenu en octobre 1289, de nouveaux griefs pouvaient être invoqués par l'évêque. Le comte de Savoie, en effet, avait par ses agents mis la main sur deux des principales branches du revenu épiscopal, la pêche du Rhône dans la ville et les péages ; il avait en outre profité, soit de contestations survenues entre les citoyens et leur ancien vidomne Gautier de Confignon, soit surtout des rapports qui existaient entre celui-ci et le comte de Genevois, pour s'emparer de cette fonction temporelle de l'Eglise, héréditairement inféodée par les évêques à une famille noble du pays.

En présence de ces graves usurpations, Guillaume, s'appuyant des décisions du concile de Vienne, dont il avait peut-être été l'un des promoteurs, adresse de nouveau, les 13 et 20 novembre 1289, de sévères remontrances au comte de Savoie pour l'ensemble de ses empiétements. A ces remontrances, ou monitions, succède l'interdit; après que l'évêque l'a prononcé, le synode du diocèse en ordonne l'exécution. Mais à chacun de ces actes, le comte de Savoie, qui avait déjà appelé par avance des décisions du concile de Vienne, répond par une série de protestations et d'appels qui constituent le Souverain Pontife juge suprême du débat. Dès lors, peu rassuré sur l'impartialité de la Cour romaine, Guillaume récuse les commissaires successifs nommés par le Pape pour connaître de l'affaire, et il préfère s'entendre directement avec son antagoniste. Le traité qui intervient entre eux à Asti, le 19 septembre 1290, stipule que la pêche et les péages demeurent propriété de l'évêque, et que le comte, de son côté, sera mis en possession viagère du Vidomnat. En revanche, ce qui concerne le château de l'Ile et les frais de guerre est renvoyé à un jugement arbitral. Cette double stipulation ne devait pas mettre un terme au différend : les hésitations des arbitres et leur crainte de se prononcer entre des personnages aussi haut placés, permirent au comte de Savoie de demeurer maître du château de l'Ile; et une fois qu'il se vit régulièrement nanti du Vidomnat, il en outrepassa les attributions, en usurpant, au préjudice de l'évêque et malgré ses menaces réitérées, une partie de la police et la juridiction criminelle de la ville.

Quant aux citoyens de Genève, ils envisageaient comme leur propre victoire les succès du comte de Savoie, car ils attendaient de celui-ci une protection efficace et un développement de leurs libertés municipales plus complet que celui que leur pouvait concéder l'autorité ecclésiastique. Un grand pas fut fait dans ce sens durant l'épiscopat de Guillaume de Conflans. En effet, bien que son prédécesseur eût reconnu l'existence de la communauté des citoyens, celle-ci ne possédait encore aucun organe officiel chargé de la représenter et d'agir en son nom; mais bientôt après, les citoyens se constituent en corporation active, ont un sceau commun, nomment des représentants et les chargent, dans l'intérieur de la ville, de quelques-unes des branches des pouvoirs publics : telles que la police et la levée de certaines contributions. L'époque de ce changement important peut même être précisée, puisque c'est dans ses monitions du 13 novembre 1289, que l'évêque blâme vivement la conduite des citoyens qui se sont emparés contre son gré du gouvernement de la ville et qui y exercent des pouvoirs sous le nom de procureurs ou syndics, et puisque, dans celles du 13 mai 1291, il renouvelle ses plaintes contre ces innovations dangereuses, dont il signale l'origine comme très récente. La transaction qui fut conclue à ce sujet, entre l'évêque et les citoyens deux ans plus tard, le 17 juillet 1293, fit, il est vrai, cesser momentanément la représentation municipale et supprima l'office de capitaine, mais elle laissa les bourgeois en possession de la police nocturne ; et, comme plusieurs points contestés demeurèrent en suspens, les citoyens ne tardèrent pas, après la mort de Guillaume, de regagner le terrain qu'ils venaient de perdre.

C'était, comme on l'a vu précédemment, l'alliance de l'évêque Robert avec le comte de Genevois qui avait attiré sur l'église de Genève les complications politiques dans lesquelles se trouvait engagé Guillaume de Conflans. Celui-ci n'en eut pas moins à lutter avec Amédée, comte de Genevois, le troisième des adversaires contre lesquels il s'élève dans ses monitions de novembre 1289. Ce prince s'était, en effet, emparé, de biens appartenant à l'évêque; il avait, entre autres, usurpé les droits de pêche dans le Rhône, depuis Genève jusqu'à la cluse de Gex. Un traité du 13 avril 1291 régla ce point, ainsi que d'autres questions controversées, et quoique les concessions que lui fit l'évêque fussent secondaires, en regard de celles imposées par Amédée de Savoie, on peut reconnaître que ce sont en général les pouvoirs laïques qui triomphent dans tous ces conflits. Du reste, cette paix ne fut pas de longue durée. Allié avec le Dauphin de Viennois et avec la belle-mère de ce dernier, Béatrix de Faucigny, le comte de Genevois entreprit, au mois d'août de la même année 1291, une attaque armée contre Genève, dont il menaça les murs et brûla un des faubourgs. Cette agression violente, et les ravages commis par les alliés contre les terres du chapitre et de l'évêque, provoquèrent de la part de celui-ci l'excommunication du Dauphin le 26 septembre 1291, et une menace d'interdit contre le comte de Genevois, le 4 août 1292. Ces seigneurs accordèrent probablement des satisfactions à l'évêque, mais ils se trouvaient en face d'un adversaire plus puissant qui avait intérêt à se porter le défenseur de la ville. Lors de la paix conclue en novembre 1287, entre les comtes de Savoie et de Genevois, le château de Genève avait été rendu à ce dernier sous condition de le tenir en fief du comte de Savoie : à peine remis en possession du manoir héréditaire de sa famille, Amédée de Genève s'était empressé de s'en servir pour faciliter son attaque contre la ville, et il en fut de nouveau expulsé par les officiers du comte de Savoie accourus au secours de l'évêque et des citoyens. On voit dès lors la guerre se rallumer entre les seigneurs rivaux et se propager, soit en Faucigny, soit en Genevois où le château de la Corbière est pris par les troupes de Savoie. Cependant, le 10 décembre 1293, intervient entre les deux Amédée un nouveau traité de paix, qui, en abaissant au rôle de vassal le comte de Genevois, met un terme à ces luttes et prépare l'alliance des deux familles. Par ce traité, le château de la Corbière est adjugé au comte de Savoie pour les frais de guerre ; celui du Bourg-de-Four pourra être restitué au comte de Genevois, mais seulement à titre de fief, moyennant l'engagement qu'il prend de protéger les citoyens de Genève séjournant ou voyageant dans son comté, et de ne faire avec eux aucune alliance préjudiciable au comte de Savoie.

Vers la même époque, et à la suite des nombreux conflits qui avaient rempli l'épiscopat de Guillaume de Conflans, le comte Amédée de Savoie poursuivant ses avantages contre tous ses adversaires, modifia considérablement la position politique des divers territoires compris dans le diocèse de Genève. Les dynastes de Cossonay et Prangins qui s'étaient trouvés indirectement engagés dans les luttes contre la Savoie, se virent dépouillés en partie de leurs domaines héréditaires, et spécialement du château de Nyon, dont le comte de Savoie s'empara en juillet 1293. A la suite de plusieurs traités, il obtint aussi de Béatrix de Faucigny, le 29 avril 1294, la suzeraineté définitive de tout le pays de Gex. On voit donc qu'à la mort de l'évêque Guillaume, et malgré ses efforts constants, la puissance de la maison de Savoie était dominante sur tous les pays qui entouraient Genève, et que, dans la ville même, c'était son influence qui était la moins contestée. Cet état de choses devait durer longtemps sous les successeurs de Guillaume; il était utile, par conséquent, d'en éclaircir et d'en bien préciser ici le point de départ.

L'importance des questions politiques qui s'agitent dans la cité épiscopale, ou dans l'intérieur du diocèse, n'empêchera point le lecteur de découvrir, parmi les documents qui suivent, d'autres épisodes dignes d'intérêt et présentant le tableau fidèle de la vie sociale. C'est ainsi qu'une série de chartes des années 1289 à 1292 montre la vallée de Chamonix objet et théâtre à la fois de deux débats, poursuivis, l'un entre le comte de Genevois et la dame de Faucigny, l'autre entre le prieur du lieu et ses sujets. Ces deux luttes se lient entre elles, et si le comte de Genevois renonce, en faveur de Béatrix, moyennant 500 livres, aux droits de garde sur Chamonix, les habitants de cette vallée, dont quelques-uns étaient venus demander la protection d'Amédée en se réfugiant auprès du château de Charousse, ancien domaine de la maison de Genève, obtiennent par une sentence arbitrale du 26 juillet 1292 la reconnaissance de leurs coutumes et le redressement de la plupart de leurs griefs contre le prieur.

Liste de la Bible de Saint-Pierre, dans Bonivard, édit. Dunant, I, p. 185. - Besson, p. 31. - Blavignac, M. D. G. t. VII, p. 43. - Mallet, ibid. I, p. 8 et suiv. ; et VIII, p. 167 et suiv.