ÉPISCOPAT D'AIMON DU QUART


1304 - 1311

 


C'était au chapitre de Genève qu'il appartenait de choisir un successeur à Martin de St-Germain mort, comme on l'a vu, le 1er décembre 1303 ; mais, d'après les règles canoniques, le choix devait avoir lieu dans le terme de trois mois depuis la vacance, à défaut de quoi le droit d'élection était dévolu à l'archevêque ou au Pape. Or, ce ne fut qu'à la fin de février 1304, à la suite de nombreuses négociations, après plusieurs réunions infructueuses, et la veille même du jour où expirait le délai fatal, que le chapitre finit par se prononcer. Il élut évêque de Genève, Aimon du Quart, alors prévôt de l'église de Lausanne. Ce prélat, originaire du Val d'Aoste, où deux de ses frères occupaient de hautes charges ecclésiastiques, avait été lui-même honoré d'abord de la dignité de chantre de Lyon, et l'on se rappelle qu'en cette qualité il avait été chargé conjointement avec Guillaume de Champvent, évêque de Lausanne, de régler par la sentence arbitrale de 1293 les contestations existant entre les comtes de Savoie et de Genevois (REG 1386).

La longue hésitation du chapitre et le choix qu'il fit d'un ecclésiastique étranger au diocèse peuvent s'expliquer par les circonstances politiques du moment. En parcourant la liste des vingt-huit chanoines présents à la dernière réunion, on peut constater qu'un grand nombre d'entre eux, et spécialement les dignitaires, appartenaient à des familles nobles relevant des maisons de Genève et de Faucigny ; que, dès lors, si l'un d'eux, comme cela était naturel, réunissait les suffrages de ses collègues, son élection devait être contraire aux vues du comte de Savoie et combattue par lui. On voit, en effet, les agents du comte multipliant leurs courses à Genève durant cette vacance, afin, sans doute, d'exclure quelques-uns des candidats, et peut-être, en prolongeant les délais, d'enlever au chapitre le droit d'élection. Le premier but fut seul réalisé, et en réunissant à la dernière heure leurs voix sur Aimon du Quart, les chanoines placèrent à la tête du diocèse un prélat énergique et zélé qui, malgré sa qualité de feudataire du comte de Savoie, ne s'est pas montré en thèse générale asservi à sa politique.

Élu en février, Aimon ne fut consacré que le 5 octobre suivant. Peut-être avait-il hésité à accepter ces fonctions, mais, une fois installé, il prit d'une main active la direction de son diocèse et continua avec intelligence l'oeuvre de réorganisation administrative, commencée par Martin de Saint-Germain. On lui doit le plus ancien recueil parvenu jusqu'à nous des titres relatifs aux droits du siège épiscopal de Genève; on le voit veiller avec soin à l'accomplissement des hommages et reconnaissances dus à son Église, et, le 29 avril 1305, il fait prêter par Amédée, comte de Genevois, l'hommage-lige que ce prince devait à l'évêque, dans des termes plus explicites que ceux des autres actes analogues de ces comtes. En même temps il mettait le diocèse de Genève, quant à un point important de sa vie civile, en harmonie avec la plupart des pays d'alentour, en prescrivant que le commencement de l'année serait fixé à Noël, au lieu de dépendre de la fête variable de Pâques. Cette innovation fut adoptée dès 1306 dans tout le territoire du diocèse.

Mais Aimon du Quart ne put point, comme son prédécesseur immédiat, se renfermer exclusivement dans les mesures pacifiques d'administration ; les luttes dans lesquelles il se vit bientôt engagé, rapprochent plutôt son épiscopat de l'époque si orageuse de Guillaume de Conflans, et l'on voit, entre les années 1305 et 1308, se dérouler une série d'événements politiques importants, soit dans l'intérieur de Genève, soit dans les pays circonvoisins.

A l'intérieur, l'évêque avait à défendre les prérogatives de son Eglise à la fois contre Amédée de Savoie et contre les citoyens. Après de longs débats, il conclut avec le premier de ces adversaires le traité du 21 juin 1306 sur l'exercice de la magistrature du Vidomne, mais il se hâte quatre jours après, de requérir, par un acte public, le même comte de restituer à l'Église le château de l'Ile et le Vidomnat, et il proteste en même temps que, par la convention qu'il vient de signer, il n'a point entendu donner à Amédée un droit à cet office, ni l'approuver pour son Vidomne. C'était, dans son opinion sans doute, plier sous l'influence de la force matérielle, reconnaître le fait, mais sauvegarder le droit pour l'avenir. - Quant à la commune, ses développements paraissent avoir été favorisés par le comte de Savoie, et l'on voit son bailli se transporter à Genève dans l'année 1305, pour appuyer de sa présence un serment de confrérie entre les bourgeois de la ville. Vers la même époque un grand nombre de citoyens se rattachent à Amédée ou à son fils par des liens féodaux, pour jouir probablement d'une protection et d'une liberté que le comte accordait alors à plusieurs autres villes de ses Etats, tandis que le clergé les refusait dans Genève. La réorganisation définitive de la commune jurée des citoyens doit être rapportée à la même date, car on peut constater par un bref de Clément V du 7 mai 1307, qu'ils avaient récemment élu quatre recteurs ou syndics, ainsi que vingt conseillers pour les assister, en donnant à ce corps tous pouvoirs pour les affaires de la communauté.

La situation respective des partis dans Genève se rattachait aux luttes dont les pays voisins étaient le théâtre. Malgré des traités solennels et des alliances de famille, la paix n'était qu'apparente entre le comte de Savoie et le baron de Vaud d'une part, le Dauphin, le comte de Genevois et leurs alliés, d'autre part. Dès 1304, les adversaires révèlent leurs défiances en élevant sur leurs territoires des châteaux menaçant le voisinage : Marval est fortifié par le comte de Savoie, Gaillard est construit par celui de Genevois, Lullin réédifié par le baron de Faucigny. Une première campagne a lieu en 1305 : le comte de Savoie s'empare de ce dernier château, mais en perd quelques autres.

L'année 1306 s'ouvre, par un compromis entre les belligérants et par une trêve qu'ordonne le pape Clément V; mais ces tentatives de pacification échouent en présence de nouvelles voies de fait, telles que la destruction du château de Marval par le sire de Gex, et d'une grave atteinte portée à l'état de choses antérieur par Jean, fils du Dauphin de Viennois, qui s'était fait céder la seigneurie d'Entremont, à la suzeraineté de laquelle prétendait le comte de Savoie; aussi fut-il promptement attaqué et expulsé par ce dernier.

L'attaque dirigée contre Genève, le 6 juin 1307, par les troupes combinées du comte de Genevois et du sire de Faucigny forme le point culminant de ces luttes intérieures et extérieures. Dans le clergé et parmi les citoyens se trouvait plus d'un partisan des anciennes traditions voyant avec déplaisir les envahissements de la Savoie; c'est en comptant sur leur aide et sur le concours tacite de l'évêque Aimon, que le comte de Genevois fit cette attaque, après s'être assuré, par le traité du 15 mai, l'aide du jeune seigneur Hugues de Faucigny. La défaite de leurs troupes eut pour conséquence immédiate l'écrasement de leur parti clans l'intérieur, la condamnation capitale de quelques chefs et la fuite de l'évêque, dont le palais fut occupé par Edouard, fils du comte de Savoie. Il semble toutefois que le prélat ne considérait pas encore la cause de ses partisans comme entièrement perdue, car on le voit s'efforcer de rallier encore autour de lui, le 4 septembre de la même année, les deux principaux antagonistes de la Savoie et tracer avec eux un programme à la fois politique et militaire qu'ils se proposent de faire triompher par les armes spirituelles et temporelles. Mais un événement imprévu devait mettre fin à tous ces projets et amener dans le pays une pacification générale.

Amédée III, comte de Genevois, mourut le 22 mai 1308, des suites d'un accident, et l'avènement d'un nouveau comte changea immédiatement la face des choses, en plaçant le beau-père et son gendre à la tête des deux partis qui avaient été jusqu'alors les plus hostiles entre eux. Ce lien domestique, et plus encore la lassitude des combattants conduisirent promptement à une série de traités de paix, entre la Savoie et le Faucigny, entre la Savoie et le Genevois, enfin, le 28 février 1309, entre l'évêque et les citoyens. La renonciation par la maison de Faucigny à ses prétentions demi-séculaires sur la Savoie, la défaite absolue dans Genève du parti du comte de Genevois, et la reconnaissance de l'organisation syndicale sous la supériorité honorifique de l'évêque, tels furent les principaux résultats de ces traités qui formèrent dès lors et pendant une longue série d'années les bases non contestées du droit public dans le diocèse de Genève.

La fin de l'épiscopat d'Àimon du Quart forme un assez grand contraste avec ces trois ou quatre années d'agitation locale. Il venait de reprendre le cours de ses réformes administratives et financières, d'établir de concert avec les citoyens un impôt sur le vin, de fixer certains droits de leyde et de pontonnage, lorsque des circonstances qui se liaient à la politique générale, vinrent l'enlever à sa résidence et le placer sur un théâtre où ses hautes capacités pouvaient se déployer plus librement. Henri VII, se rendant en Italie pour y faire reconnaître ses droits à l'Empire, passa à Genève le 12 octobre 1310, accompagné de plusieurs grands dignitaires de l'église; il entraîna à sa suite l'évêque Aimon, en le nommant son secrétaire, et l'on peut constater l'influence de celui-ci dans les négociations les plus importantes qui eurent lieu à cette époque entre l'empereur et les principales villes de l'Italie. Un seul acte de ce prélat, acte resté toutefois à l'état de projet, vient ternir cette dernière période de la vie d'Aimon du Quart. Il se trouvait, à la cour du monarque, en contact avec le comte de Savoie, Amédée V, cet ancien adversaire dont la politique était si persévérante, et il ne put résister à l'attrait d'un arrangement qui aurait sacrifié pour quelques avantages personnels ou des satisfactions d'amour-propre, les droits de l'Église et ceux des citoyens. Par le traité du 5 mars 1311, il se proposait de céder au comte Amédée, contre un fort revenu viager, la moitié indivise de ses droits de souveraineté sur Genève. Heureusement pour la communauté genevoise, ce traité ne fut pas ratifié par l'autorité pontificale, dont la sanction avait été formellement réservée.

Aimon du Quart poursuivait sa carrière diplomatique au service de l'empereur, lorsque la maladie le surprit devant Brescia, et il vint mourir à Ivrée le 13 octobre 1311.

Liste de la Bible de Saint-Pierre, dans Bonivard, édit. Dunant, I, p. 186. - Besson. p. 33. - Blavignac, M. D. G. t. VII, p. 44. - Mallet, M. D. G. t. IX, p. 89-197.