TABLE RONDE 1er et 2 juin 2007

BESANÇON

Autour de saint Maurice :
Politique, société et construction identitaire.

 

Esther DEHOUX :

Martyr et guerrier : images de saint Maurice dans l’espace germanique (Xe-XVe siècle)

 

Les implications politiques du culte de saint Maurice ont souvent été abordées mais l’étude de son iconographie en terres d’Empire n’a pas été souvent abordée sous cet angle.
    La réunion d’un corpus provisoire de cent quatre-vingt-quatorze images du légionnaire thébain réalisée entre le Xe et le XVe siècle permet de dégager certaines tendances : une popularité croissante et véritablement exponentielle après 1350, la prépondérance des représentations de Maurice guerrier mais la permanence, même marginale, de l’idée de martyr, l’importance, pour la diffusion du culte, des centres anciens tels Magdeburg, de cités possédant ses reliques comme Cologne, de princes tels Charles IV pour le développement de la vénération pour Maurice en Bohême et au nord de l’Elbe ou ceux de la maison de Savoie au XVe siècle.
    L’insistance sur le martyre de Maurice dans les années 1050-1200, dans des villes proches des milieux impériaux tels Siegburg, Magdeburg ou Mayence laissent imaginer un lien entre le conflit opposant l’empereur au pape et ce choix iconographique. Les écrits des clercs schismatiques que sont le cardinal Bennon ou l’évêque d’Albe Benzo le confirment. En effet, si l’Annolied avait clairement présenté Maurice comme don divin à l’Empire, Bennon utilise la passion des martyrs d’Agaune pour vanter leur fidélité totale à Dieu et   au souverain et il se livre à un commentaire aussi savant qu’orienté pour démontrer l’appartenance à l’Antichrist de Grégoire VII. Dans le contexte du conflit violent entre ce dernier et Henri IV durant lequel les serments sont prêtés, dénoncés, annulés avec la participation pontificale, le cardinal souligne la nécessité de tenir ses engagements puisque Dieu en est le témoin. La bataille d’Hohenmölsen en octobre 1080 voit la victoire de l’anti-roi Rodolphe de Rheinfelden qui meurt cependant des suites de ses blessures : les bruits qui circulent disent qu’il aurait eu la main droite coupée, ce qui est la preuve tangible et irréfutable de son parjure mais aussi l’expression du soutien céleste accordé aux troupes impériales. La participation, selon Benzo d’Albe, de Maurice au combat précédant l’entrée de l’anti-pape Honorius II au Latran en 1061 conforte l’idée d’un appui divin aux revendications de l’empereur mais elle conduit à considérer le pape et ses partisans comme des ennemis de la foi chrétienne puisque ce sont les seuls adversaires contre lesquels les légionnaires envisageaient d’user de leurs armes. Maurice est un saint germanique mais il devient, en arborant sa palme, un formidable argument aux mains des schismatiques : servant autant d’avertissement que d’encouragement, l’image du martyr d’Agaune est la manifestation consciente d’un choix politique assumé et l’instrument efficace d’une propagande solidement fondée. Seule la négation de la sainteté des Thébains peut, en effet, mettre à mal le raisonnement et la construction théologique.
    D’autres pistes sont à explorer comme celle, par exemple, du succès que connaît le thème du Maurice guerrier après 1350. Il ne semble pas pouvoir s’expliquer par la seule affirmation de l’aristocratie. En effet, si ce prénom est en vogue au sein de la Ritterschaft naissante, les sociétés de noblesse et les ordres de chevalerie n’ont guère honoré le légionnaire, lui préférant d’autres saints tels Georges, Michel ou Martin. L’espace de leur développement est aussi bien distinct des lieux où s’épanouit l’iconographie de saint Maurice qui apparaît comme un saint étroitement lié à l’Empire et surtout à l’empereur.
    Le lien entre hagiographie et société est patent, le rapport entre la dévotion pour les saints guerriers et l’histoire politique étroit.