TABLE RONDE 23-24 septembre 2008

SAINT-MAURICE D'AGAUNE

Table ronde faisant suite aux journées des 2 et 3 juin 2007 de BESANCON.
Compte-rendu des travaux.

 


Saint Maurice, cathédrale de Magdebourg (statue XIIIe)

 

Lors des journées de SAINT-MAURICE D'AGAUNE, le thème " Politique, société et construction identitaire : autour de saint Maurice " a été examiné et discuté. En raison de nombreux apports originaux, les lignes directrices du colloque international de 2009 ont été reprécisées.
Le résumé des interventions est complété sur ce site par les écrits plus détaillés fournis par les auteurs eux-mêmes.

L'étude des aléas et de la diffusion du culte montre que le souvenir de Maurice connaît des phases d'oubli et de réactivation dès le Moyen Age. Souvent la perception sur le terrain est, comme l'indique A. RAUWEL, " plus un souvenir qu'une réalité vivante ".
La complexité de la situation est soulignée par N. NIMMEGEERS à propos du titre de la cathédrale carolingienne de Vienne. Au début du VIIIe, l'évêque découvre des reliques de saint Maurice sur le Rhône. Les conditions de leur accueil sont mal éclaircies (Crypte ? Cathédrale double ? Petite église proche ?). Les textes annoncent un changement de dédicace de la cathédrale. Un tableau de l'église de Vienne (fin IXe ?) la dit dédiée au Saint-Sauveur. Mais Adon (circa 870) évoque une église Saint-Maurice. Dans les actes de la pratique, la cathédrale est dite Saint-Sauveur et Saint-Maurice pour la première fois en 889.
Pour la Bourgogne étudiée par A. RAUWEL, la première diffusion du culte de Maurice semble du VIe siècle. Elle intéresse Saint-Bégnigne de Dijon où encore au XIe, le souvenir reste vif. Une autre preuve de l'intérêt pour Maurice en Bourgogne concerne deux grands aristocrates qui choisissent de se faire inhumer dans un oratoire dédié au saint : Jean de Réôme au VIe et saint Germain d'Auxerre au Ve siècle. Dans ce dernier cas, les attestations sont carolingiennes et peut être dues à la contamination de l'exemple précédent. Les reliques des Thébains sont également attestées à Sens dès l'époque mérovingienne (l'abbé Willicaire d'Agaune devenant archevêque de Sens en 769) et l'abbatiale Saint-Etienne de Dijon possède en 1141 des reliques de Maurice dans le but d'affirmer une " chrétienté bourguignonne ".
A Angers, la cathédrale est dédiée à saint Maurice et les manuscrits angevins attestent de la place du saint au cœur d'une tradition se réclamant de saint Martin. Ce dernier aurait ramené d'Agaune des ampoules à demi-pleines du sang de saint Maurice. G. JAROUSSEAU les trouve au XIIe à Tours, Candes et Angers. L'évêque Eusèbe Bruno - lié à la Bourgogne - ramène d'Agaune les restes du saint Thébain Innocent. Lors des croisades, la cathédrale reçoit des reliques de saint Maurice d'Apamée, vite assimilées au martyr d'Agaune. La mémoire est illustrée sporadiquement par la suite ; ainsi au XVe avec le roi René.
A partir du constat de F. DEMOTZ sur l'effacement de Saint-Maurice de 888 à 1032, il apparaît que l'abbaye tient une place assez modeste et surtout significative en cas de crise dans un effort de recentrage. Ainsi, les rois se font souvent couronner à la cathédrale de Lausanne et soutiennent d'autres grandes abbayes comme Payerne. Le rôle d'Agaune semble traditionnel, mais insuffisant dans un effort de diversification de l'image royale.

Les textes ont fait l'objet d'études et de débats, en particulier en lien avec Saint-Claude. Le père DE VREGILLE rappelle que le P. Chifflet avait transcrit du légendier de Saint-Claude, la Vie des Pères du Jura, intéressant doublement Agaune. Il en découvrit ensuite un exemplaire à la cathédrale Saint-Jean de Besançon du milieu du VIIème siècle, qui lui permit d'améliorer le texte. Ce manuscrit - disparu aujourd'hui - contenait également la triple Vie des abbés d'Agaune, une chronologie des douze premiers abbés, et un long poème sur saint Probus, moine-prêtre d'Agaune, écrit par le prêtre Pragmatius.
A. DUBREUCQ fait apparaître les liens étroits qui unissent ces deux monastères. Plus qu'une biographie historique, la Vie des Pères est à lire comme une règle, un modèle de vie fondé sur des anecdotes illustrant les difficultés quotidiennes (élection de l'abbé, nourriture, sacerdoce des moines) ; Romain étant le fondateur, Lupicin l'organisateur et Oyend le réformateur.
La relation des textes et de l'archéologie est pleine de surprises comme l'a montré l'intervention d'A. et de S. BULLY à propos notamment de la tombe de saint Lupicin dont les restes avaient été prétendument déplacés à Condat et qu'on découvrit avec surprise en 1689 accompagnés d'une inscription en plomb provenant peut-être du sarcophage primitif. Une tombe monumentale a été découverte en 2007. Ce monument funéraire, élaboré et soigné, en situation privilégiée, est antérieur à l'église romane. La datation C14 le place entre 230 et 430. La monumentalité de la construction et son maintien dans l'église du XIe siècle, par le rehaussement du couvercle et le marquage dans l'espace, indiquent une sépulture importante et privilégiée. Ce contexte permet d'identifier ce tombeau comme celui de saint Lupicin, second Père du Jura. Fondateur avec son frère Romain des monastères de Condat (Saint-Claude) et de Lauconne (Saint-Lupicin), il fut enterré vers 480 dans ce dernier établissement, comme le rapporte son hagiographe

L'image du saint est diverse selon les pays, les modèles et les mécènes. Elle reflète les préoccupations politiques, militaires, pastorales et sociales de la période. Ainsi, comme l'a montré madame G. SUCKALE-REDLEFSEN, le saint Maurice noir n'existe que dans l'Empire en liaison avec Frédéric II. Dans le Royaume de France, saint Maurice apparaît statique et dans une posture qui n'est pas celle du combat. A partir du XIIIe, son martyre est représenté en liaison avec le service militaire du prince dans le cadre de la guerre juste et le refus de l'obéissance au prince injuste.
L. HAMELIN a présenté le très riche dossier de l'iconographie mauricienne en Franche-Comté, - principalement pour la période moderne- en soulignant les axes préférentiels du saint représenté comme cavalier, piéton, en armure ou portant l'étendard.
A. ANTONIOLETTI BORATTO a traité de la diffusion du culte des thébains en Piémont et en particulier du cas de l'église Saint-Florent ornée de fresques du XVe représentant les étapes du martyre (dont leur décapitation au couperet).
A.WAGNER a présenté l'iconographie originale de Maurice à la cathédrale de Metz. Elle pose la question - irrésolue - de modèles viennois ainsi que le choix de cette iconographie politiquement très marquée sous le pontificat de l'évêque Conrad de Schwarzenberg farouchement favorable à l'empereur.

Iconographie originale de Maurice à la cathédrale de Metz

N. BROCARD s'est interrogée, en prenant l'exemple d'Otton IV (†1303), sur le modèle que représente pour l'aristocratie du XIIIe, saint Maurice en association avec le culte porté à d'autres saints. Dans son testament, ce comte de Bourgogne manifeste à la fois sa dévotion envers saint Maurice et les Thébains, saint Georges et sainte Elisabeth de Hongrie. Trois lieux du comté sont concernés : Bracon, Ornans et Gray. Cette trilogie ne résume-t-elle pas une forme de piété spécifique relative aux préoccupations des aristocrates du temps : charité hospitalière et combat contre les ennemis de la foi ? Le culte conjoint des saints militaires et -ou- miséricordieux souligne à l'évidence la complexité de l'imaginaire de la sainteté médiévale.
C. LAURANSON ROSAZ a posé la question du possible lien entre le culte de saint Maurice et la famille auvergnate des Paillers-Montboissier (Xe-XIe siècles) à travers le choix du prénom qui reflète un travail sur la memoria ainsi qu'un effort d'éducation des chevaliers belliqueux à travers l'exemple mauricien.

Nicole BROCARD et Anne WAGNER.